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Près des trois quarts des sites du patrimoine mondial sont fortement exposés aux risques liés à l'eau

mardi 1 juillet 2025
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Vue aérienne de Mosi-oa-Tunya / Chutes Victoria pendant une période de sécheresse. © HandmadePictures

Une nouvelle analyse menée par l'UNESCO et le World Resources Institute (WRI) révèle que 73 % des sites du patrimoine mondial sont fortement exposés aux risques liés à l'eau, tels que la sécheresse, le stress hydrique ou les inondations fluviales et côtières. Le renforcement de la gestion de l’eau est essentiel pour protéger ces sites ainsi que les communautés et les écosystèmes qu'ils soutiennent.

Une ressource précieuse de plus en plus menacée

Selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), les risques liés à l'eau, notamment les inondations, les sécheresses et les tempêtes, ont été à l'origine de plus de 90% des grandes catastrophes mondiales depuis 1970, causant plus de 2 millions de morts et des pertes économiques supérieures à 3,6 billions de dollars. Les sites du patrimoine mondial n'ont pas été épargnés par ces menaces et subissent des pressions croissantes sur leurs valeurs naturelles et culturelles. Ces sites rappellent avec force la relation durable de l'humanité avec l'eau. Qu'il s'agisse de paysages remarquables façonnés au fil des millénaires ou de sites culturels forgés par l'ingéniosité humaine - tels que les anciens systèmes d'irrigation, les canaux historiques et les réalisations techniques modernes -, ils reflètent le lien avec la nature qui a permis aux sociétés de prospérer au fil des générations. Pourtant, si l'eau est au cœur de la valeur de ces sites, elle peut également présenter de graves risques lorsque son équilibre est perturbé, menaçant ainsi l'intégrité de ces lieux irremplaçables.

Une nouvelle analyse menée par l'UNESCO et le World Resources Institute (WRI) met en lumière l'ampleur de ces menaces : 73 % des sites du patrimoine mondial sont fortement exposés à au moins un risque lié à l'eau – tel que la sécheresse, le stress hydrique ou les inondations fluviales et côtières - et 21 % sont confrontés à de multiples risques à la fois. Partout dans le monde, les sites du patrimoine mondial sont de plus en plus pris entre les extrêmes du trop-plein et du trop peu d'eau, avec le changement climatique, l'urbanisation, la régulation des cours d'eau et les prélèvements d'eau en amont intensifiant ces pressions, en particulier dans des régions telles que le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, certaines parties de l'Asie du Sud et le nord de la Chine.

"L'Atlas des risques liés à l'eau d'Aqueduct fournit des données essentielles pour suivre l'évolution des risques liés à l'eau à travers le monde. Ces informations sont plus urgentes que jamais, car elles peuvent aider les gouvernements, les gestionnaires de sites et les communautés à prendre des mesures ciblées avant que les inondations, les sécheresses ou les pénuries d'eau ne causent des dommages irréversibles à des lieux précieux qui sont de véritables lignes de vie pour les populations et les écosystèmes",

Environ 600 sites du patrimoine mondial sont fortement exposés à des conditions de pénurie d'eau – manifestées par le stress hydrique ou la sécheresse - ce qui en fait le risque lié à l'eau le plus répandu, menaçant près de la moitié des sites inscrits. La grande majorité (environ 90 %) de ces sites exposés sont des biens culturels. Bien que les sites naturels soient relativement moins exposés, ils subissent de plus en plus des conditions qui exercent une pression croissante sur les écosystèmes et la biodiversité. Des sites tels que les Ahwar du sud de l'Irak et Mosi-oa-Tunya / Chutes Victoria (Zambie / Zimbabwe) ont subi de graves sécheresses pluriannuelles depuis 2020. La sécheresse accroît également le risque d'incendies de forêt, aggravant les dégâts : dans la zone de conservation du Pantanal (Brésil) et dans le Parc national Noel Kempff Mercado (Bolivie), des conditions prolongées de sécheresse ont alimenté des incendies intenses ayant de graves répercussions sur la flore, la faune et les communautés locales.

Sécheresse à Mosi-oa-Tunya / Chutes Victoria en 2019 / Source : Copernicus Browser

Un risque élevé d'inondation — qu’elle soit fluviale ou côtière — concerne environ 400 sites du patrimoine mondial. Les inondations ont déjà eu un impact sur les biens naturels et culturels du patrimoine mondial, soulignant le besoin urgent de renforcer leur résilience. En 2020, le Parc national des Monts Rwenzori (Ouganda) a connu d'importantes inondations liées au climat, perturbant les systèmes fluviaux et posant des défis aux communautés locales comme à la faune. En 2022, d'importantes inondations ont conduit à la fermeture temporaire du Parc national de Yellowstone (États-Unis d'Amérique), nécessitant plus de 20 millions de dollars de réparations d’infrastructures avant sa réouverture. Plus récemment, en 2024, d’importantes inondations dans le Parc national de Kaziranga (Inde) ont entraîné la perte de plus de 200 animaux, dont 10 rhinocéros en danger d’extinction, tandis que le Parc national de Sagarmatha (Népal) a été touché par des crues glaciaires soudaines (GLOF) liées à l'accélération de la fonte des glaciers.

© ICIMOD

Les sites culturels ont également subi des impacts importants dus aux inondations. Les inondations catastrophiques qui ont submergé près d'un tiers du Pakistan en 2022 ont causé des dommages importants aux Ruines archéologiques de Moenjodaro. D'autres sites anciens, tels que le Minaret et vestiges archéologiques de Jam (Afghanistan), Angkor (Cambodge) et Petra (Jordanie), ont également été touchés par les inondations, compromettant leur intégrité. Dans certaines régions d'Afrique, les communautés de Tombouctou (Mali) et du Centre historique d'Agadez (Niger) sont confrontées aux défis combinés d'une sécheresse sévère suivie de crues intenses - une illustration manifeste de la variabilité croissante du climat.

Inondations aux ruines archéologiques de Mojenjo Daro (Pakistan) en 2022 / Source : Copernicus Browser

Environ 50 sites du patrimoine mondial sont fortement exposés aux inondations côtières. Certains sites culturels subissent déjà les effets de ce phénomène, avec des risques croissants pour leur intégrité. Le complexe de monuments de Huê (Viet Nam) a été confronté à des inondations répétées ces dernières années, accélérant sa détérioration. Les forts et châteaux, situés le long de la côte du Ghana, sont de plus en plus menacés par l'érosion du littoral et la montée du niveau de la mer, mettant en péril ces importants vestiges de comptoirs commerciaux fortifiés qui ont marqué les débuts du commerce mondial. Bien que les inondations côtières n'aient pas encore causé de dégâts majeurs sur les sites naturels du patrimoine mondial, le risque augmente. Des sites tels que les Sanctuaires d’oiseaux migrateurs le long de la côte de la mer Jaune–golfe de Bohai de Chine et le Parc national du Banc d’Arguin (Mauritanie) sont particulièrement vulnérables, car l'élévation du niveau de la mer pourrait transformer ou submerger des habitats côtiers essentiels aux espèces migratrices.

"Cette analyse souligne le besoin urgent de traiter les risques liés à l'eau pour les sites du patrimoine mondial, des risques amplifiés par le changement climatique. Le renforcement de la résilience par l'innovation, les savoirs traditionnels et la coopération est essentiel pour préserver ces lieux irremplaçables pour les générations futures", 

Vers des solutions : Protéger le patrimoine par la gestion de l'eau

Malgré ces défis, des exemples d'actions efficaces démontrent que des solutions sont possibles, en particulier lorsqu'elles sont soutenues par la coopération internationale, l'innovation et les savoirs traditionnels. L'UNESCO soutient activement les États parties dans la lutte contre les menaces liées à l'eau en combinant des mécanismes d'urgence, des conseils techniques et des partenariats à long terme. L'aide d'urgence est fournie par le biais d'instruments tels que l'Assistance internationale du Fonds du patrimoine mondial, le Fonds d’intervention d’urgence (RRF)  et le Fonds d'urgence pour le patrimoine (HEF), tandis que les missions d'experts dans le cadre du processus de suivi réactif de la Convention du patrimoine mondial orientent les efforts de réponse. L'UNESCO fournit également des formations et un appui technique pour renforcer les capacités locales, contribuant ainsi à la résilience à long terme, à la réduction des risques de catastrophes et à une gestion durable de l'eau dans les sites du patrimoine mondial, notamment grâce à des programmes tels que le Programme hydrologique intergouvernemental (PHI).

La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) - qui promeut le développement et la gestion coordonnée de l'eau, de la terre et des ressources associées - est de plus en plus souvent intégrée dans les stratégies de conservation des biens du patrimoine mondial. À Petra (Jordanie) et dans la vieille ville de Sana’a (Yémen), par exemple, les principes de la GIRE guident les stratégies de réduction des risques d'inondation, telles que les systèmes d'alerte précoce, qui contribuent à protéger les monuments contre les crues soudaines de plus en plus violentes. De même, dans les Sanctuaires d'oiseaux migrateurs le long de la côte de la mer Jaune et du golfe de Bohai (Chine), l'interdiction par le gouvernement de la poldérisation, suivie d'efforts de restauration des zones humides, a permis de multiplier par cinq les populations d'oiseaux dans certaines zones, recréant ainsi un habitat vital pour les espèces migratrices.

© UNESCO / Mobilisation communautaire par la prévention des risques à Pétra

L'adaptation climatique sensible au patrimoine est également essentielle. La zone archéologique de Chan Chan (Pérou) illustre la manière dont les gestionnaires du site appliquent des mesures innovantes de gestion de l'eau - notamment des améliorations du drainage et la construction de remblais protecteurs – afin de réduire l'impact des précipitations de plus en plus intenses et des inondations sur les structures fragiles en adobe. Au Minaret et vestiges archéologiques de Jam (Afghanistan), l'UNESCO a soutenu des mesures d'urgence pour stabiliser la structure suite à des crues qui ont mis en danger son intégrité, ainsi qu'une assistance technique visant à améliorer la gestion des inondations dans la vallée environnante.

© UNESCO / Le minaret et les vestiges archéologiques de Djam, un projet de l’UNESCO pour la sauvegarde de ce site emblématique

La coopération transfrontalière joue un rôle essentiel lorsque des systèmes hydriques partagés soutiennent les valeurs du patrimoine mondial. La Commission permanente de l'eau du bassin de l'Okavango (OKACOM), grâce à la collaboration entre l'Angola, la Namibie et le Botswana, coordonne les efforts visant à protéger les crues saisonnières qui soutiennent la biodiversité et les moyens de subsistance locaux dans le delta de l’Okavango. De même, au Parc national d'Iguaçu, à la frontière entre le Brésil et l'Argentine, les gestionnaires du parc collaborent en amont avec les acteurs pour maintenir des flux d'eau durables qui protègent l'écosystème des chutes tout en soutenant la production hydroélectrique vitale du barrage d'Itaipu. Pour faire face aux conséquences de la fonte des glaciers et à la multiplication des crues glaciaires soudaines (GLOF) dues au changement climatique, l'UNESCO s'engage avec les communautés du Parc national de Sagarmatha (Népal) pour identifier les voies d'adaptation potentielles en utilisant l’analyse décisionnelle fondée sur les risques climatiques (CRIDA).

Les savoirs traditionnels, la gestion communautaire et les partenariats entre les communautés locales, les autorités nationales et les organisations internationales sont au cœur de nombreuses initiatives réussies. Dans les rizières en terrasses des cordillères des Philippines, la revitalisation des anciens systèmes d'irrigation et la restauration des forêts contribuent à la fois à la préservation du patrimoine culturel et à la résilience face à la sécheresse et à l'érosion. Dans les Ahwar du sud de l'Iraq, des efforts conjoints ont facilité la restauration des marais, renforçant ainsi la gouvernance de l'eau et aidant à lutter contre la sécheresse et la salinité.

Les technologies modernes viennent renforcer ces approches. Des outils tels que la cartographie SIG, la télédétection et le suivi de la qualité de l'eau fournissent des données en temps réel pour éclairer la prise de décision et permettre aux gestionnaires de sites et aux autorités de répondre efficacement aux menaces émergentes. À cet égard, la plateforme de cartes en ligne du patrimoine mondial de l’UNESCO (WHOMP) constitue une ressource précieuse pour le suivi des risques liés à l'eau et la planification au niveau des sites.

Ces efforts et solutions font partie des nombreuses actions contribuant à la protection des sites du patrimoine mondial et au renforcement de leur résilience pour les générations futures. Les sites du patrimoine mondial ne sont pas de simples vestiges figés du passé, mais des systèmes dynamiques façonnés par l'ingéniosité humaine, les forces naturelles et une relation profonde et durable entre les peuples et l'eau. Le renforcement de leur protection nécessite une approche intégrée qui associe les pratiques ancestrales à l'innovation scientifique, qui s'appuie à la fois sur les savoirs traditionnels et la science moderne, et qui favorise une gouvernance inclusive et une coopération transfrontalière. Il est essentiel de promouvoir une gestion de l'eau qui soutienne le patrimoine culturel et naturel pour sauvegarder leur valeur universelle exceptionnelle et garantir leur contribution continue au développement durable et au bien-être des communautés à travers le monde.

L'UNESCO remercie le gouvernement des Flandres (Belgique) pour son soutien à la Plateforme de cartes en ligne du patrimoine mondial (WHOMP), qui a rendu cette analyse.

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