Pour sauvegarder les espèces emblématiques d’Afrique tropicale, préservons leur rapport étroit avec les communautés locales
Au fil du temps, les communautés vivant au sein de la forêt humide en Afrique ont développé un rapport étroit avec leurs voisins, les espèces dites « parapluies » comme les grands singes et les éléphants. Les espèces parapluies sont souvent soit emblématiques, soit menacées, voire les deux. Ces espèces sont appelées « espèces parapluies » du fait que leur protection entraîne également celle d'un large éventail d'espèces de faune et de flore partageant leur habitat. Cette relation entre communautés et espèces parapluies s’exprime dans de diverses pratiques culturelles qui sont transmises de génération en génération et servent à renforcer les valeurs et croyances qui soulignent cette relation.
Plusieurs gouvernements africains s’interrogent sur l’opportunité d’inscrire ces pratiques et croyances dans la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. Cette démarché serait une façon concrète pour ces pays de manifester leur engagement à la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté au Canada en décembre dernier lors de la 15ème Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (COP15).
Un panel pour amorçer le processus
C’est pourquoi l’UNESCO participe à un panel-débat en marge du One Forest Summit, qui se tiendra dans la capitale gabonaise les 1et et 2 mars prochains, à l’initiative des Présidents gabonais et français. Ce sommet offrira de multiples opportunités de renforcer les massifs de forêt tropicales humides au monde, qui hébergent une biodiversité extrêmement riche et sont communément appelés les trois « poumons de la planète », notamment les forêts de l’Afrique centrale.
Le panel mettra en lumière les pratiques, les croyances et les valeurs associées à ces espèces par les communautés locales – autrement dit, ce patrimoine culturel immatériel. En soulignant les liens entre les personnes et les espèces « parapluies » des forêts tropicales humides, cette approche permettrait de sauvegarder le patrimoine vivant et de renforcer la conservation de ces espèces.
Composé de représentants des communautés, de la communauté scientifique et de décideurs, le panel examinera les étapes nécessaires pour que les chercheurs et les communautés locales valorisent ensemble les rôles écologiques, sociaux et spirituels liés à ces espèces, en commençant par un inventaire organisé au niveau national. Lors de l’étape suivante, les acteurs locaux qui le souhaitent pourront demander l’inscription du patrimoine vivant associé aux espèces parapluies sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO.
Cela permettrait alors de renforcer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui reconnaît l'interconnexion entre l'humain et la nature, et favorise les valeurs respectueuses de la biodiversité et de l'environnement naturel ; relier la recherche en sciences humaines et biologiques avec les communautés, la société civile et l'éducation ; et rendre le lien entre les forêts tropicales, le climat et la biodiversité plus tangible pour les citoyens afin de mieux préserver la biodiversité et les réservoirs de carbone irrécupérables.
Le panel-dèbat permettra, donc, d'amorcer un processus qui pourra déboucher à terme sur l’inscription par les pays intéressés des pratiques culturelles des communautés locales relatives aux espèces dites parapluies des forêts tropicales à leur inventaire culturel national, ainsi que sur l’inscription par plusieurs pays d’ici 2024 des pratiques culturelles en lien avec les espèces parapluies des écosystèmes forestiers au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Un processus qui pourra s’appuyer sur les réseaux de sites désignés par l’UNESCO
Ce processus pourra notamment s’appuyer sur le réseau existant de 10 sites naturels du Patrimoine mondial et 11 réserves de biosphère dans le bassin du Congo et en Afrique centrale, qui protègent des sites emblématiques pour la biodiversité de la région. Ils comptent aussi parmi les plus importants puits de carbone de la planète.
Les sites du Patrimoine mondial sont reconnus spécifiquement par la Convention du même nom à cause de leur importance mondiale pour la protection de la biodiversité, des espèces en danger et des écosystèmes intactes. On peut citer en exemple le site de patrimoine mondial de la Sangha Trinational, le premier site transfrontalier inscrit sous la Convention du patrimoine mondial en Afrique par trois pays, le Cameroun, le Congo et la République centrafricaine.
« Avec la nomination d’un nombre de nouveaux sites de patrimoine mondial situés dans les forêts du bassin du Congo, les pays de l’Afrique central ont démontré leur engagement à conserver ces sites forestiers pour le bien de l’humanité toute entière », estime Lazare Eloundou, Directeur du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. « Avec notre Initiative pour le patrimoine mondial forestier d’Afrique, nous avons investi plus de 20 millions de dollars des États-Unis depuis 2002 pour appuyer les pays de la région afin de mieux conserver ces sites ainsi que les paysages forestiers de la région dans lesquels ils se situent, qui contribuent à la sauvegarde à long terme non seulement de leur biodiversité exceptionnelle mais aussi de leurs fonctions écologiques, notamment en tant que puits de carbone. »
Les réserves de biosphère ont été désignées par l’UNESCO, suite à la demande formulée par leurs habitants, qui souhaitaient que l’UNESCO les accompagne dans une approche plus durable du développement. Alors que les 11 réserves de biosphère actuellement ont chacune une dimension nationale observe Noeline Raondry Rakotoarisoa, Directrice de la Division des sciences écologiques et géologiques à l’UNESCO, « il est tout à fait envisageable qu’à l’avenir, des pays d’Afrique centrale décident de former une réserve transfrontalière pour mieux protéger la biodiversité en leur sein. Après tout, les grands singes et les éléphants empruntent des couloirs de migration qui ne s’arrêtent pas aux frontières des pays ».
Les 10 sites de patrimoine mondial naturels et les 11 réserves de biosphère apportent ensemble une contribution importante à la lutte contre le changement climatique et à la protection de la biodiversité.
Prenons l’exemple de la réserve de biosphère de Yangambi en République démocratique de Congo, qui est en passe de devenir un pôle de connaissances sur le climat et la biodiversité. L’École régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts (Eraift) à Kinshasa, qui fonctionne sous l’égide l’UNESCO, est un des partenaires clefs de ce projet. La réserve de biosphère de Yangambi se situe au cœur de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, s'étendant sur 2 350 km2 ; elle sert de site de démonstration pour les efforts visant à développer des industries « vertes » dans le bassin du Congo, telles que la pisciculture et la foresterie communautaire durable. En 2020, l’Université du Gand a installé une tour à flux (« Congoflux ») pour mesurer les échanges de gaz à effet de serre entre l'atmosphère et l'écosystème forestier, une première pour le bassin du Congo. Les données recueillies combleront les lacunes béantes dans notre connaissance du rôle que joue la forêt dans la séquestration du carbone et, par conséquent, dans la limitation du changement climatique.
Un manque de données à combler
Mais les données ne manquent pas uniquement sur le rôle de « poumon » du bassin du Congo. Lors du COP15, l’UNESCO a dévoilé son futur Portail et base de données sur la biodiversité, qui permettra à tous ceux qui le souhaitent de suivre l'évolution d’indicateurs socio-écologiques et de visualiser les changements sur le terrain à travers le monde.
Actuellement, on manque de données sur les « espèces parapluies » en Afrique tropicale et au-delà. C’est pourquoi l’UNESCO s’est associée au Muséum national d'histoire naturelle français pour améliorer l'observation et la collecte de données sur les grands singes, notamment sur le fonctionnement et la santé des écosystèmes dont ils dépendent. Le projet, qui a démarré en novembre 2022, est mis en œuvre dans 25 sites d’Afrique et d’Asie désignés par l'UNESCO. Les données collectées avec les drones seront mises en commun dans une base de données, ce qui permettra de faire des études comparatives et de voir l’évolution de l’habitat des grands singes à l’échelle du continent. Ce projet de recherche collaboratif est prévu sur 10 ans. Il permettra de mieux comprendre le lien entre un environnement sain et des grands singes en bonne santé, ainsi que les facteurs et les conséquences des menaces auxquelles ils sont confrontés.
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