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Les peintures murales Chii`k Naab : Calakmul. La conservation des peintures murales sous les climats tropicaux

(02/05/2012) © Ramon Carrasco | Ramon Carrasco

Depuis 1993, le Projet archéologique de Calakmul apporte une contribution extraordinaire à la recherche interdisciplinaire en assurant la conservation intégrale de la valeur universelle exceptionnelle du site, tel que demandé par le Comité du patrimoine mondial en 2002 lors de son inscription sur la Liste du patrimoine mondial sous les critères (i), (ii) et (iv). Ce site est un témoignage unique des différents échanges et influences de douze siècles d’histoire, comme le révèle la construction de complexes architecturaux tels que les acropoles, reliées par des places et des cours. Calakmul était l’une des principales villes de la zone Maya centrale.

Découvert en 1931, le site n’a pas cessé depuis d’étonner la communauté scientifique par la qualité de son aménagement urbain. Située dans la réserve de biosphère de Calakmul, l’une des plus vastes biosphères de forêt tropicale humide, il s’agit d’une des plus grandes villes de la civilisation maya connues à ce jour, fondée entre 500 et 800 avant J.C. Son influence sur la période classique comprenait le fleuve Usumacinta et le fleuve La Pasión, comme mentionné dans les inscriptions historiques de Petén.

Parmi toutes les acropoles qui composent le site, se détache le célèbre Chii`k Naab, l’un des quatre monuments qui se dressent autour de la place centrale. La structure de l’acropole est la plus haute du paysage bâti. Lors de la première intervention archéologique sur le bâtiment en 2005, une substructure d’une valeur exceptionnelle pour la communauté scientifique a été découverte. Complètement recouverte de peintures murales, cette structure de douze mètres de large et cinq mètres de haut a été construite entre 650 et 700 avant J.C. et présente une imagerie murale extraordinaire avec des scènes de la vie quotidienne, ce qui revêt une importance particulière, car il s’agit d’une des rares représentations picturales du monde maya dans laquelle ne figurent pas de scènes politiques, religieuses ou cérémonielles.

Cette découverte a élargi le champ de l’étude tout en posant un défi majeur pour la conservation. Il est bien connu que les climats tropicaux créent des difficultés énormes pour le traitement et la conservation des peintures murales. Ramón Carrasco Vargas, directeur du Projet de Calakmul, et María Cordeiro Baqueiro, directrice de la conservation et de la restauration, ont donc envisagé une approche multidisciplinaire pour l’analyse et l’intervention, en testant des méthodologies innovantes pour montrer qu’il est possible de préserver les peintures afin qu’elle restent aussi spectaculaires qu’au moment de leur découverte. Ces nouvelles méthodologies vont dans le sens des normes internationales recommandées par les organisations internationales en matière de conservation intégrée des biens archéologiques, qui ont été universellement acceptées lors de l’adoption de la Convention de La Vallette en 1992. Les travaux ont reçu le soutien technique de chercheurs réputés, comme le Dr. Piero Baglioni du département de chimie de l’Université de Florence et directeur du Consortium national pour les nanosystèmes (CSGI), deux institutions effectuant des tests d’application des nanotechnologies.

L’éventail complet des facteurs environnementaux a été minutieusement étudié pour déterminer les conditions physiques, chimiques et biologiques auxquelles sont soumis les matériaux à Calakmul. De plus, les peintures murales sont très poreuses là où elles absorbent des solutions aqueuses, ce qui est la cause principale de toutes les altérations physiques, chimiques et biologiques.

Il faut également tenir compte du fait qu’il existe toujours des zones plus susceptibles de se détériorer en raison de la fragilisation du matériau, provoquée parfois par la présence de sels qui se cristallisent à la surface de la peinture, provoquant des dégâts supplémentaires. La croissance des cristaux à l’intérieur des pores peut générer des tensions assez fortes pour dépasser la capacité de la couche de peinture à résister à la tension, la transformant en poudre. On attribue ces dégâts aux mécanismes de cristallisation de cette même couche de peinture. Parmi les différents types de sels identifiés, les sulfates sont les plus dangereux.

La cristallisation de ces sels se produit avec l’augmentation des molécules d’eau, qui entraîne à son tour une augmentation de volume importante, ce qui exerce une pression sur les capillaires, faisant apparaître des fissures, fragilisant le ciment, provoquant des déplacements et des effritements. Cela conduit inévitablement à un perte de polychromie des peintures murales. Les températures et le taux d’humidité élevé favorisent le développement de la plupart des organismes et micro-organismes, car tout matériau poreux soumis à l’action de l’environnement est susceptible d’être attaqué par des espèces colonisatrices.

Calakmul, mural paintings (©Ramon Carrasco)

En étudiant la restauration des peintures murales, on a utilisé des produits inorganiques comme l’hydroxyde de calcium et l’hydroxyde de baryum, favorables à la consolidation de la nature minérale du matériau à traiter en raison de leur structure réticulaire, d’une grande similarité dans les propriétés physiques et de leur durée dans le temps, qui est beaucoup plus longue que celle des polymères synthétiques. Le processus de détérioration des polymères semblait plus prononcé sous un climat tropical, qui crée un durcissement de la couche et une accélération du processus d’oxydation, ainsi que la perte de toute son efficacité en provoquant la formation d’une couche imperméable qui entraîne la dissolution et la cristallisation des sels à l’intérieur de la peinture.

Une étude approfondie de l’état de conservation du travail, réalisée juste avant le début de l’intervention, a fourni un état des lieux détaillé dans chaque domaine : les zones fragilisées, les zones compactées, les zones exposées à un taux d’humidité élevé, les zones vulnérables à la prolifération d’agents biologiques, les zones plus sensibles à l’évaporation de l’eau et donc exposées à la cristallisation du sel.

Parmi les principes à suivre, il fallait créer une couche de protection servant non seulement à protéger et préserver les peintures, mais aussi à intégrer les fondations à l’environnement urbain dans le respect de la structure urbaine, afin de créer un continuum entre bâtiments et espaces extérieurs. On s’est donc efforcé d’effectuer un renouveau fonctionnel permettant de conserver l’harmonie urbaine et la typologie de la construction des bâtiments. En plus de cette couche de protection, on a fait appel à une approche innovante en utilisant des nanoparticules d’hydroxyde de calcium, ce qui implique une réduction des particules en suspension.

Les nanotechnologies offrent des concepts et matériaux nouveaux pour la consolidation et la protection des peintures murales. Cette nouvelle chaux subit une réaction lente de carbonatation qui soutient le renforcement mécanique de la couche de peinture et de son substrat. La chaux, associée à l’hydroxyde de baryum, achève la transformation du gypse et forme du sulfate de baryum insoluble qui conserve le bien culturel.

Les nanoparticules de calcium et de baryum, en particulier, fournissent une solution polyvalente et d’une très grande efficacité. Il s’agit d’un nouvel outil pour combattre les principaux processus de dégradation qui affectent les peintures murales, notamment sous les climats tropicaux.

Une publication reprenant l’ensemble du processus de conservation est en cours d’élaboration. La diffusion de cette méthodologie sera abordée lors d’une réunion rassemblant tous les gestionnaires des sites mayas du patrimoine mondial et les spécialistes concernés, prévue à Campeche en mars 2013 et coordonnée par le Centre du patrimoine mondial dans le cadre de l’exercice de rapport périodique en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les sites du patrimoine mondial sont de formidables laboratoires d’analyse et de recherche appliquée à la conservation. J’ajoute à cela que l’on devrait considérer les sites inscrits comme des laboratoires de recherche permanents. La recherche et la conservation doivent conjuguer leurs efforts pour préserver ce qui reste de la valeur universelle exceptionnelle pour les générations à venir.

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