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Conférence : « Architecture et villes pour le XXIe siècle »

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Villes

Valence, Espagne, juillet 1998

Par Minja Yang

Alors que ce siècle s'achève, les discours prophétiques fleurissent dans les médias et dans les agences de publicité toujours prêtes à voir l'avenir en rose. Après un siècle de développement industriel sans précédent qui s'est accompagné d'une exploitaion massive et souvent sans contrôle des ressources naturelles, le malaise de cette fin siècle est patent. Le passage d'une croissance économique fondée sur l'augmentation de la production aux manœuvres de la spéculation financière s'est accompagné du gonflement du nombre des chômeurs à l'ouest et de la délocalisation des centres de productions vers les pays en voie de développement. Ces données, venant s'ajouter aux bouleversements liés à la fin de la Guerre froide, ont généré un climat d'incertitude. La mondialisation dans tous les domaines soumet les individus à des contraintes qui échappent à leur contrôle. Et même si les hommes ont livré des combats et versé du sang pour des idéaux aussi nobles que la démocratie et les droits de l'homme, ils n'ont plus autant la maîtrise de leur destin qu'au début du siècle. Ces éléments, additionnés à d'autres facteurs, contribuent à poser la question de l'environnement en terme d'intêret individuel autant que collectif. Pour la majorité des individus, la préoccupation principale n'est pas de savoir comment sauver la planète mais plutôt de trouver des solutions pour améliorer l'environnement quotidien et immédiat.

La plupart des habitants de cette terre passent le plus clair de leur temps à aller d'un lieu à l'autre, parcourant des distances de plus en plus longues en voiture, en train ou à pied, avec de plus en plus de corvées et de moins en moins de temps disponible. La qualité de la vie dans les pays dévéloppés ou en développement est conditionnée par la qualité d'un environnement dont les hommes ne sont plus directement reponsables de façon individuelle, et c'est ainsi que s'accroît un sentiment d'aliénation, particulièrement chez les plus démunis.

L'urbanisation se poursuit à un rythme rapide : au XXIe siècle, les deux tiers de la population mondiale seront des urbains. En 2030 la population urbaine dans les pays dévéloppés sera deux fois plus importante que la population rurale. L'expansion des villes, dans certains cas, est susceptible de grignoter l'espace vital, transformant des régions entières en immenses zones urbaines. Si l'avenir de l'humanité est nécessairement lié à celui de la ville, alors son devenir politique, économique et culturel doit être envisagé à l'échelle mondiale mais aussi locale. A la suite des débats sur les nouvelles idéologies, sur la répartition des ressources en eau et les responsabilités des hommes dans le cadre du Programme pour le troisième millénaire de la ville de Valence, la Conférence sur l'architecture et les villes pour le XXIe siècle traitera de thèmes d'intêret général.

L'objectif n'est pas de faire des prophéties, ni de formuler des résolutions, ni même de faire des recommandations. La conférence n'a pas de telles prétentions. En tant que coordinateur général, j'ai sélectionné quelques thèmes susceptibles de générer un débat sur des questions simples que tout le monde se pose, tant sur l'architecture que l'urbanisme. Plutôt qu'un vaste tour d'horizon des grandes théories sur l'urbanisme et de l'évolution des styles architecturaux, il s'agira pour les participants d'évoquer les différentes manières dont ils traitent concrètement les problèmes urbains. Si, durant ces deux journées, ils nous font partager leurs connaissances acquises en tant qu'architectes, urbanistes ou responsables politiques, les objectifs de cette conférence seront atteints.

Les participants, dans la présentation de leurs travaux, aborderont l'architecture sous les angles suivants : le projet, la conception, la construction et la vocation des bâtiments, ainsi que la ville en tant que cadre de vie quotidien. Le premier thème programmé, « Avant-garde et patrimoine », génère toute une série de questions : Dans quelle mesure les projets architecturaux contribuent-ils au progrès des techniques de construction, à l'amélioration des relations sociales au sein des villes ? De quelle manière les personnes concernées par ces projets, c'est-à-dire ceux qui en ont l'usage, sont-ils impliqués ? Dans quelle mesure les nouvelles techniques de construction et les formes architecturales contribuent-elles à créer un bon environnement ? La guerre entre les partisans de la tradition et ceux de l'avant-garde est-elle un vrai ou un faux débat ? Le pluralisme culturel sera-t-il balayé par l'uniformité du style dit intercontinental, résultat de la production de masse des matériaux de construction ?

Le deuxième thème portera sur les projets urbains et l'humanisation du cadre de vie. Dans certaines grandes villes, les centres historiques sont investis par l'élite sociale tandis que les populations défavorisées sont repoussées vers les banlieues. Dans d'autres, c'est la classe moyenne qui occupe les banlieues résidentielles, abandonnant les centres aux plus démunis. La spéculation immobilière et les aléas du marché constituent une menace, ayant pour effet un appauvrissement culturel et social du milieu urbain. Dans les banlieues, les centrales électriques, les usines de retraitement des déchets, les zones industrielles, les supermarchés gigantesques envahissent tout l'espace. Les autoroutes, les voies de chemin de fer, les tunnels et autres infrastructures de transport dominent le « paysage culturel ». Ces infrastructures - essentielles à notre mode de vie - peuvent-elles être conçues en harmonie avec notre environnement naturel afin de créer un cadre de vie plus convivial ?

L'invitation qui m'a été lancée par Sra Rita Barbera, maire de Valence, pour organiser cette conférence en me donnant carte blanche quant au choix des thèmes et des participants, et le fait que Frederico Mayo, Directeur général de l'UNESCO m'ait autorisée à y consacrer une partie de mon temps, m'offrent une occasion unique pour évoquer les questions que je me pose au quotidien. Le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO a pour mission la protection et la sauvegarde des sites appartenant à notre héritage naturel et culturel par le biais de la diffusion de notre Convention, ainsi sommes-nous appelés à aborder un grand nombre de problèmes. Près de 150 des quelque 380 sites figurant sur la liste du patrimoine mondial sont situés dans des villes historiques, il n'est donc pas étonnant que notre Centre soit quotidiennement concerné par le problème délicat de la sauvegarde du patrimoine dans un environnement toujours plus urbanisé. Dans la plupart des villes, la préservation de l'héritage du passé et les nécessités de la croissance ne se résument pas à un simple conflit théorique. Dans les cités surpeuplées des pays en développement de l'hémisphère sud, exceptées quelques « villes-musées », la démolition des centres historiques, le délabrement de bâtiments, témoins uniques du passé, et la construction d'immeubles nouveaux mal adaptés - c'est un euphémisme - au tissu urbain traditionnel, contribuent à gommer l'identité des villes. Par ailleurs, le développement des infrastructures des transports, tout à fait nécessaire, pourrait y être conçu avec le souci du respect de l'intégrité des centres historiques.

Préserver le patrimoine pour les générations futures, stimuler la créativité est l'essence même de notre mission et la notion de patrimoine doit avoir un sens dans nos sociétés contemporaines. Il s'agit là d'un des principes fondamentaux de la Convention sur le patrimoine mondial, exprimé dans l'article 5. Pour que la sauvegarde du patrimoine ne soit pas en contradiction avec le progrès, vital au développement de l'humanité, elle ne doit pas nier la modernité, et refuser toute forme de développement.

En dépit de la mondialisation, l'identité de chaque ville est unique et complexe. Il n'existe pas de « modèle urbain » type, mais des configurations multiples. J'espère que les architectes, les urbanistes et les maires qui ont accepté de participer à cette conférence nous indiqueront, à travers chaque étude de cas, de quelle façon les villes du futur pourront préserver leur identité propre. Unissons nos efforts pour défendre notre « patrimoine urbain », pour qu'il soit une priorité de l'urbanisme dans la cité de demain, la cité de la nouvelle ère démocratique.

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