Le Comité du patrimoine mondial,
- Ayant examiné les documents WHC-14/38.COM/8B et WHC-14/38.COM/INF.8B1,
- Inscrit le Qhapaq Ñan, réseau de routes andin, Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur et Pérou, à l’exception des sites individuels suivants : Tambillitos (AR-TAM-19/CS-2011), Quimsa Cruz – Ilata (BO-DV-04/CS-2011), Jimbura - Puente Roto (EC-JP-27/C-2011), Oñacapa - Loma de Paila (La Zarza) (EC-OL-24/CS-2011), Nagsiche – Panzaleo (EC-NP-10/CS-2011), Pachamama – Llacao (EC-PL-15/C-2011), Vilcanota – La Raya (PE-CD-05/C-2011), Colquejahua – Pacaje (PE-CD-07/C-2011), Walla – Kintama (PE-OL- 20/C-2011), Toroyoq – Kutacoca (PE-VCH-25/ CS-2011), Ipas Grande (PE-XP-28/C-2011), et Quebrada Escalera (PE-XP- 29/C-2011), sur la Liste du patrimoine mondial sur la base des critères (ii), (iii), (iv) et (vi);
- Prend note de la Déclaration de valeur universelle exceptionnelle provisoire suivante :
Brève synthèse
Le Qhapaq Ñan, réseau de routes andin, est un grand réseau inca de routes de communication, de commerce et de défense parcourant plus de 30 000 kilomètres. Construit par les Incas sur plusieurs siècles, ce réseau atteignit son extension maximale au XVe siècle, s’étendant sur toute la longueur et la largeur des Andes. Le réseau est basé sur quatre routes principales qui prennent leur départ de la place centrale de Cusco, la capitale du Tawantinsuyu. Ces routes principales sont reliées à plusieurs autres réseaux routiers de moindre importance qui créent entre elles des liens et des interconnections. 273 sites individuels répartis en 137 segments s’étendant sur 697,450 kilomètres du chemin de l’Inca mettent en lumière les réalisations architecturales et techniques du Qhapaq Ñan ainsi que son infrastructure associée pour le commerce, l’hébergement et le stockage des marchandises et les sites d’importance religieuse. Le réseau de routes fut l’aboutissement d’un projet politique mis en œuvre par les Incas reliant les villes et les centres de production et de culte dans le cadre d’un programme économique, social et culturel au service de l’État.
Le Qhapaq Ñan, réseau de routes andin, est un réseau de routes exceptionnel qui traverse l’un des terrains géographiques les plus extrêmes du monde, utilisé pendant plusieurs siècles par les caravanes, les voyageurs, les messagers, les armées et des populations représentant jusqu’à 40 000 personnes. Le Qhapaq Ñan était le lien vital du Tawantinsuyu, reliant entre eux les villes et les centres de production et de culte sur de longues distances. Les villes, les villages et les zones rurales furent ainsi intégrés dans un même réseau de routes. Plusieurs communautés locales qui restent les gardiens et protecteurs traditionnels des segments du Qhapaq Ñan préservent les traditions culturelles immatérielles associées, parmi lesquelles les langues.
Le Qhapaq Ñan, par son ampleur et sa qualité, est un réseau de routes unique reliant les sommets enneigés des Andes, à plus de 6 000 mètres d’altitude, à la côte, traversant des forêts tropicales humides, des vallées fertiles et des déserts absolus. Il manifeste une grande maîtrise technique mise en œuvre pour résoudre la myriade de problèmes posés par le paysage varié des Andes grâce à diverses technologies de construction de routes, de ponts, d’escaliers, de fossés et de pavages en pierre.
Critère (ii) : Le Qhapaq Ñan présente d’importants processus d’échanges de marchandises, de communication et de traditions culturelles dans une aire culturelle déterminée et a permis la création d’un vaste empire s’étendant sur une distance de 4 200 km à son apogée au XVe siècle. Il est basé sur l’intégration de savoirs ancestraux andins antérieurs à l’Empire inca et les spécificités des communautés andines et des cultures formant un système d’organisation étatique qui permettait des échanges d’influences sociales, politiques et économiques au service de la politique impériale. Le long des tronçons du Qhapaq Ñan, les structures bordant la route apportent une trace durable des ressources et des marchandises de valeur échangées le long du réseau, tels que les métaux précieux, les muyu (coquilles de Spondylus), les denrées alimentaires, les fournitures militaires, les plumes, le bois, la coca et les textiles transportés depuis la zone de leur collecte, production ou fabrication vers les centres incas de différents types et vers la capitale elle-même. Plusieurs communautés, qui restent gardiennes des éléments de ce réseau de communication, sont de vivants rappels de l’échange d’influences culturelles et linguistiques.
Critère (iii) : Le Qhapaq Ñan est un témoignage unique et exceptionnel sur la civilisation inca fondée sur des valeurs et des principes de réciprocité, de redistribution, de dualité et une organisation décimale qui a construit un univers singulier appelé Tawantinsuyu. Le réseau de routes était la base vitale de l’Empire inca intégrée dans le paysage andin. En tant que témoignage de l’Empire inca, le Qhapaq Ñan illustre des milliers d’années d’évolution culturelle ; il était un symbole omniprésent de la puissance et de l’extension de l’Empire à travers les Andes. Ce témoignage influence les communautés qui vivent le long du Qhapaq Ñan jusqu’à aujourd’hui, en particulier par rapport au tissu social des communautés locales et aux philosophies culturelles qui donnent un sens aux relations entre les personnes et entre les peuples et la terre. Surtout, la vie est toujours définie par des liens entre proches parents et par une éthique de soutien mutuel.
Critère (iv) : Le Qhapaq Ñan, réseau de routes andin, est un exemple exceptionnel d’un ensemble technologique qui, malgré les conditions géographiques des plus difficiles, créa un système de commerce et de communication fonctionnant en permanence avec des compétences exceptionnelles en matière d’ingénierie et de technologie dans des environnements isolés et ruraux. Plusieurs éléments illustrent des typologies caractéristiques en ce qui concerne les murs, les routes, les marches et les escaliers, les fossés en bordure des routes, les canalisations d’égouts et de drainage, etc., utilisant des méthodes de construction propres au Qhapaq Ñan, tout en variant selon le lieu et le contexte régional. Nombre de ces éléments étaient standardisés par l’État inca, ce qui a permis de contrôler l’uniformité des conditions le long du réseau de routes.
Critère (vi) : Le Qhapaq Ñan a joué un rôle essentiel dans l’organisation de l’espace et de la société, au sein d’une vaste aire géographique le long des Andes, où les routes étaient un moyen de partager des valeurs culturelles ayant une importance immatérielle exceptionnelle. Le Qhapaq Ñan est toujours aujourd’hui un vecteur d’appartenance et d’identité pour les populations locales et leur permet de transmettre de génération en génération leurs pratiques et expressions culturelles et leurs savoir-faire traditionnels. Les membres de ces communautés fondent leur compréhension de leur existence sur la cosmovision andine, qui est unique au monde. Cette cosmovision s’applique à tous les aspects de la vie quotidienne. Aujourd’hui, le Qhapaq Ñan est directement associé aux valeurs immatérielles partagées par les communautés du monde andin, telles que le commerce traditionnel, les pratiques rituelles et l’usage des technologies anciennes, entre autres, qui sont des traditions vivantes et des croyances fondamentales pour l’identité culturelle des communautés concernées. Le réseau de routes andines maintient ce rôle essentiel d’intégration, de communication, d’échange et de flux de biens et de connaissances et, – malgré le commerce moderne actuel et les changements sociaux – il maintient sa pertinence et son importance à travers les siècles ainsi que son rôle en tant que référence culturelle qui contribue à renforcer l’identité du monde andin.
Intégrité
La série des sites inscrite en tant que meilleure représentation du Qhapaq Ñan est suffisamment exhaustive et illustre la diversité des éléments typologiques, fonctionnels et de communication qui permettent de comprendre pleinement le rôle historique et contemporain du réseau de routes. Le nombre de segments est approprié pour communiquer les caractéristiques clés de la route du patrimoine, même si le bien est fragmenté en sites individuels qui représentent les segments les mieux préservés d’un réseau de routes autrefois continu.
Pour certains sites individuels, dont les conditions d’intégrité restent vulnérables, il est recommandé que les États parties conçoivent des critères qui définissent le niveau minimal d’intégrité par rapport aux différentes catégories technologiques et architecturales identifiées, aux différentes régions géographiques et au degré d’isolement. Selon ces critères, la condition d’intégrité devrait pouvoir être suivie à l’avenir afin de garantir l’intégrité à long terme et de s’assurer que les sites individuels restent exempts de menaces qui pourraient réduire la condition d’intégrité.
Pour s’assurer que les liens particuliers qui existent entre les différents sites en terme de continuité, et ce malgré leur fragmentation, soient bien compris par les futurs visiteurs, il est recommandé de mettre au point des cartes appropriées ou un système GIS pour illustrer les relations fonctionnelles et sociales qui existent entre les différents sites individuels et pour souligner leur rôle dans l’ensemble du réseau du Qhapaq Ñan.
Authenticité
L’authenticité des sites composant le Qhapaq Ñan est très grande car les éléments caractéristiques conservent leur forme et leur conception, et la variété des types spécifiques bien préservés de réalisations architecturales et techniques facilite la compréhension de la forme globale et de la conception du réseau de routes. Les matériaux utilisés sont principalement la pierre et la terre, le type de pierre variant suivant la région. Les réparations et l’entretien là où cela est nécessaire sont réalisés selon des techniques et avec des matériaux traditionnels. Ils sont conduits principalement par les populations locales qui conservent les savoirs et les techniques traditionnels de gestion de la route et sont les principaux partenaires qui entretiennent l’empierrement et les éléments associés.
Sur les sites qui présentent un intérêt archéologique ou culturel spécifique, des techniques de stabilisation et de restauration professionnelles ont été mises en œuvre avec un grand respect des matériaux et de la substance d’origine. Les systèmes de gestion locaux dictent les processus de prise de décision, souvent avec une participation importante de la communauté, de sorte que les tronçons de la route ont conservé le plus haut degré d’authenticité, la réutilisation des matériaux historiques restant plus efficace que l’introduction de nouveaux matériaux.
L’environnement naturel et visuel de la plupart des tronçons du Qhapaq Ñan ainsi que des sites archéologiques associés est très bon, voire dans de nombreux cas dans son état originel. Pour plusieurs sites cérémoniels des sommets, l’environnement est un tour d’horizon à 360° sur des kilomètres. Le Qhapaq Ñan traverse aussi de superbes paysages, dont la beauté dépend d’un panorama fragile qui requiert un suivi afin d’assurer que tout développement moderne ait un impact visuel aussi réduit que possible.
Plusieurs sites sont difficiles d’accès et leur isolement les a préservés au fil des siècles dans un très bon état. L’emplacement le plus courant des tronçons du Qhapaq Ñan dans des environnements ruraux les a préservés d’intrusions modernes notables. Les pratiques de gestion et les valeurs immatérielles associées restent très fortes, en particulier sur les tronçons les plus isolés du réseau de routes, et contribuent à la sauvegarde de mécanismes de gestion authentiques. Enfin, les sources d’informations telles que l’esprit et les impressions ainsi que l’atmosphère sont très pertinentes dans le cadre de cette proposition d’inscription, car de nombreuses communautés entretiennent des relations fortes avec le Qhapaq Ñan et sont les gardiennes de certaines structures cérémonielles.
Eléments requis en matière de protection et de gestion
En tant que bien en série transnational, le Qhapaq Ñan couvre les juridictions de six pays au niveau local et national, y compris, dans un cas, des réglementations de sept autorités régionales. Un certain nombre de déclarations conjointes et de déclarations d’engagement ont été signées par les États parties entre 2010 et 2012, qui confirment leur accord concernant la protection des segments du Qhapaq Ñan au niveau le plus élevé possible. La protection mise en place à l’aune de ces accords suit les législations du patrimoine national de chaque État et offre une protection au plus haut niveau national à tous les éléments du bien.
Les États parties ont conçu deux cadres de gestion globaux, l’un pour la phase de candidature et l’autre qui deviendra opérationnel une fois que l’inscription aura été obtenue. Le cadre de gestion préparatoire a été piloté par un Comité de gestion international basé à Paris tandis que le cadre de gestion après l’inscription sera piloté par des réseaux régionaux composés des États parties participants. L’État partie du Pérou s’est engagé à soutenir l’établissement d’un secrétariat de coordination technique où l’information sera centralisée et communiquée aux États participants, et où des réunions fréquentes entre experts techniques seront organisées.
Dans les contextes nationaux, des systèmes de gestion ont été développés en coopération avec les communautés locales et veillent, entre autres, à maintenir vivantes les traditions associées au Qhapaq Ñan. La majorité de celles-ci repose sur des systèmes de gestion traditionnels qui existent depuis des siècles et qui, sur la base des niveaux communautaires locaux, se sont développés pour devenir des accords plus formels passés avec les autorités gouvernementales concernées. L’importance de préserver le tracé actuel de la route dans les zones cultivées par les communautés devrait être soulignée dans le cadre des accords de gestion.
Plusieurs communautés locales ont exprimé explicitement leur intérêt pour des activités touristiques qu’elles ont l’intention de gérer au niveau communautaire. Des dispositifs d’interprétation et de présentation succincts sont actuellement disposés le long des segments du Qhapaq Ñan, et la base de l’interprétation repose sur les communautés locales qui partagent leur expérience et leur histoire avec les visiteurs.
Certains territoires du Qhapaq Ñan, réseau de routes andin, sont des zones sismiques actives et les structures architecturales semblent particulièrement menacées par les séismes. Des programmes de protection appropriés contre les risques doivent être développés afin de garantir la sécurité des personnes ainsi que des ressources culturelles en cas de catastrophe naturelle.
Un cadre de référence global a été créé avec le document de Stratégie de gestion pour le Qhapaq Ñan signé au plus haut niveau par les six États parties le 29 novembre 2012. En plus de cet accord multinational, des plans de gestion sont prévus pour être développés au niveau régional pour chaque segment individuel du réseau de routes. Le cadre de gestion stratégique illustre la mise en œuvre initiale des principaux aspects de la gestion, en particulier les stratégies sociales et participatives visant à permettre aux communautés locales de développer un esprit de propriété et de tutelle sur le Qhapaq Ñan et ses éléments en série. D’autres parties des plans de gestion et des plans de conservation sont en cours de développement et devraient intégrer des mesures de préparation aux risques et de gestion des catastrophes appropriées ainsi que des stratégies de gestion des visiteurs.
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Recommande que les États parties prennent en considération les points suivants :
- finaliser l’établissement du secrétariat de coopération technique international afin d’assurer une communication efficace ainsi que la fonctionnalité du cadre de gestion global à l’avenir,
- établir un système de suivi comprenant des indicateurs spécifiques pour les exercices de suivi pour garantir une documentation régulière de l’état de conservation de ce bien en série très étendu aux éléments souvent isolés ; dans ce contexte particulier, mettre au point des critères pour définir le degré d’intégrité minimal par rapport aux différentes catégories technologiques et architecturales identifiées, aux différentes régions géographiques et au degré d’éloignement afin de permettre un suivi approprié de l’état de conservation pour maintenir l’intégrité à long terme,
- finaliser les plans de gestion et de conservation, notamment la préparation aux risques et les stratégies de gestion des catastrophes dans les régions à risques sismiques, pour chacun des segments, et soumettre les documents au Centre du patrimoine mondial,
- soumettre des cartes appropriées illustrant les relations fonctionnelles entre les différents sites individuels afin de compléter la documentation du Qhapaq Ñan pour permettre d’améliorer à l’avenir la gestion et le suivi dans le cadre du système du patrimoine mondial, et envisager de mettre ces cartes à la disposition des visiteurs pour une meilleure compréhension du rôle de chaque site individuel dans le contexte global de la route du patrimoine,
- agrandir la zone tampon d’Angualasto (AR-ANC-13/CS-2011) afin d’inclure les collines voisines et les structures de la route,
- établir une zone tampon commune pour les sites archéologiques de Molle (PE-XP-38/S-2011) et de Huaycán de Cieneguilla (PE-XP-39/S-2011) afin de préserver les caractéristiques communes du paysage environnant,
- formaliser la zone tampon actuellement en discussion et acceptée par la communauté pour le segment Pancca-Buena Vista-Chuquibambilla (PE-CD-06/CS-2011),
- rassembler les segments distincts de Cerro Jircancha – Cerro Torre (PE-HH-52/CS-2011) et Maraycalla – Inca Misana (PE-HH-53/CS-2011), qui partagent déjà une zone tampon commune, en étendant les délimitations du bien qui sont actuellement définies en fonction de considération de gestion pour en faire un seul long segment associant les deux sections plus petites actuellement désignées,
- réviser le concept général de désignation des zones tampons en tant que bandes de terrain parallèles aux segments de routes et envisager une définition plus dynamique des zones tampons pour prendre en compte les caractéristiques et les points de vue du paysage environnant,
- réaliser entre-temps des études d’impact sur le patrimoine complètes - selon les orientations de l’ICOMOS pour les biens culturels inscrits au patrimoine mondial - pour tout développement important qui serait visible depuis un élément composant le bien, qu’il soit situé ou non dans la zone tampon, afin de préserver les caractéristiques paysagères importantes autour des segments de route du Qhapaq Ñan,
- identifier les attributs de chacun des segments de la route du Qhapaq Ñan qui fondent l’inclusion du critère (vi) ainsi que les implications en termes de gestion du bien ;
- Demande aux États parties de soumettre d’ici au 1er décembre 2015, un rapport au Centre du patrimoine mondial décrivant les progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations mentionnées ci-avant pour examen par le Comité du patrimoine mondial à sa 40e session en 2016 ;
- Encourage les États parties à faire appel à l’ICOMOS pour leur fournir des recommandations détaillées concernant la conservation et la gestion d’éléments constitutifs particuliers.