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Les villes d’Asie

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Patrimoine pour l’avenir

Si l’avenir de l’humanité est irrévocablement lié à la ville, alors cet avenir – politique, économique et culturel – se manifestera principalement en Asie, comme l’indiquent les dernières tendances. De tout temps, les villes ont joué un rôle essentiel dans le développement des civilisations asiatiques. Partout ou presque, l’héritage du passé – palais, lieux de culte, fortifications, ainsi que les infrastructures et les simples logements – témoigne d’une urbanisation respectueuse de l’environnement, d’une architecture innovante et d’une grande richesse artistique. Aujourd’hui, le rôle des villes est tout aussi essentiel, mais la relation traditionnelle entre villes et campagne, immuable pendant des siècles, a subi une transformation radicale au cours des dernières décennies.

Pour le meilleur ou pour le pire, les sociétés asiatiques, enracinées traditionnellement dans l’économie de la production du riz, ont été submergées depuis trente ans par un essor économique sans précédent. Commençant au Japon au cours des années soixante, l’essor industriel n’a pas tardé à enrichir les trois « dragons » (Hong Kong, Taïwan et Corée du Sud), suivis de près par l’Asie du sud-est, la Chine, et dans une moindre mesure, l’Inde.

Les mégapoles du monde : le basculement vers l’Asie

En quelques décennies, un exode rural à la mesure du développement économique de la région et de sa croissance démographique a déplacé des centaines de millions de paysans vers les villes. Leur tissu social, leurs habitudes et leur culture ont changé en même temps que leur environnement.

Quelques chiffres illustrent cette dynamique vertigineuse. En 1970, la région Asie-Pacifique comprenait seulement huit villes de plus de cinq millions d’habitants. Il y en a plus de trente aujourd’hui. Parmi les plus peuplées, Bangkok, New Delhi, Calcutta, Séoul, Jakarta, Osaka-Kobe, Manille, Bombay, Madras et Karachi comptent chacune au moins dix millions d’habitants. Pékin en compte quinze et Shanghai vingt. Quant à la mégalopole de Tokyo, ses trente millions d’habitants (un quart de la population du Japon) se concentrent le long d’un corridor urbain qui rejoint la conurbation d’Osaka-Kobe.

En seulement quelques années, la ville a imposé partout sa suprématie. Ceux auxquels il incombe de gérer cette explosion urbaine se trouvent face à un défi considérable et déroutant. Il semble qu’aujourd’hui la « limite » ait été atteinte, au-delà de laquelle les inconvénients l’emportent sur les avantages. Malgré cela, aucune des mégapoles d’Asie n’a cessé de croître, bien au contraire.

En 1990, pour la première fois depuis des millénaires, la population des villes asiatiques a atteint le milliard. Si l’on tient compte des statistiques, en 2020, d’ici tout juste 25 ans, la population urbaine aura doublé en Asie, atteignant pratiquement deux milliards et demi. Plus de la moitié des zones urbaines de la planète seront alors situées en Asie. Elles accueilleront plus du tiers de la population mondiale. Sans compter ceux qui resteront en réserve : environ 45% de la population asiatique vivra encore à l’extérieur des villes.

Ceux qui ont vu ces villes enfler, vibrantes et saturées, repoussant leurs limites jusqu’à frôler la paralysie et l’asphyxie, ont du mal à imaginer que leur population puisse doubler. L’idée semble impossible, absurde même, comme tenter de battre le record du nombre de personnes tenant dans une cabine téléphonique…Et pourtant, cela semble inévitable. On peut juste se demander à la lumière de l’expérience passée si l’humanité saura relever, de manière satisfaisante à long terme, le défi imposé ainsi par l’histoire, la démographie et la course effrénée au progrès.

L’augmentation du pouvoir et de la domination de la ville a eu de nombreux effets positifs dans le domaine économique, social et culturel. Du jour au lendemain, des millions de personnes ont pu avoir accès au « progrès » et à la nouvelle répartition des richesses. La ville est devenue pour beaucoup synonyme de travail, de logement, de culture, et surtout d’éducation, de santé et de promotion sociale. Et les villes elles-mêmes se sont transformées. Sous l’impulsion de la bourgeoisie et de la classe moyenne montantes, qui ont adopté les valeurs de la prospérité, une nouvelle culture urbaine a peu à peu pris racine avec une architecture et des tendances de consommation nouvelles.

Mais les effets de l’explosion urbaine n’ont pas tous été positifs. Le développement incontrôlé, l’absence d’infrastructures, les bidonvilles, la pollution, la criminalité et la désintégration du tissu social : la liste des maux subis hier et aujourd’hui par la plupart des mégapoles asiatiques est aussi longue que sur les autres continents. Dans certaines villes, l’élite s’est emparée du centre-ville, repoussant les pauvres vers les banlieues défavorisées. Ailleurs, ce sont les classes moyennes qui monopolisent les banlieues à la mode, abandonnant le centre-ville à la population plus pauvre. Partout, la spéculation et les fluctuations du marché de l’immobilier menacent la ville d’appauvrissement social et culturel. Dans bien des cas, la corruption, la gouvernance du laisser-faire et le manque de volonté politique, ainsi qu’une planification régionale malavisée, ont sérieusement handicapé la ville et les segments marginalisés de sa population.

La frénésie de construction incontrôlée a provoqué des catastrophes écologiques, esthétiques et culturelles jusqu'au cœur historique de villes se prévalant de nombreuses icones de l’art, de l’histoire et de la tradition. Seul l’intérêt financier et touristique que représente un grand nombre de ces lieux a sauvé les quartiers historiques de la démolition. Mais au-delà des préoccupations commerciales, c’est en tant que symbole de l’identité culturelle des citoyens et de la communauté que ce patrimoine devrait être protégé et utilisé comme point de départ de nouvelles créations culturelles.

À la veille de l’an 2000, ceux qui occupent des postes à responsabilité doivent s’efforcer d’organiser et de maîtriser un processus complexe exigeant une planification interdisciplinaire, une gestion décentralisée et la participation d’un grand nombre d’acteurs : les secteurs public et privé, les médias, les ONG et d’autres encore. Car demain, comme hier et aujourd’hui, le seul but commun est d’adapter la ville à l’humain et aux besoins de ses habitants.

Planifier l’avenir

Que réserve le 21e siècle aux villes ? Il ne s’agit pas ici de prédire, mais de prévoir. Le développement urbain connaît depuis plusieurs années une augmentation d’échelle spectaculaire. Par ailleurs, la nature des problèmes que rencontrent les villes a énormément changé. Il n’est plus possible de se contenter d’élaborer des politiques urbaines au sens traditionnel du terme ; il faut désormais définir et mettre en œuvre des politiques de développement globales.

Les villes du monde vont déterminer :

  • l’avenir social et culturel de la civilisation humaine face à une mondialisation des valeurs ;
  • l’avenir écologique de la planète face à une consommation effrénée, à l’épuisement des ressources naturelles et à l’empiètement sur les réserves naturelles ;
  • l’avenir du développement économique dans une configuration où les investissements immatériels explosent et où la prise de décision s’internationalise.

Malgré la mondialisation de l’économie, la réalité de chaque ville demeure unique et complexe. Il ne peut y avoir de « modèle urbain » de référence, seulement des études de cas. L’avenir de chaque ville doit être ancré dans son identité particulière. Son « patrimoine urbain » doit être le point de départ du développement d’une politique urbaine. Ce patrimoine et ses superpositions – l’histoire d’une ville, de ses quartiers et de ses résidents – doivent être étudiés, enregistrés et racontés.

Dès lors que l’on a compris ce patrimoine, il faut agir sur deux fronts. Le premier concerne la planification de l’occupation des sols, qui concerne tous les niveaux : national, régional et local. Un tel programme doit avoir force de loi, établissant les règlements de base qui font si souvent défaut pour protéger le patrimoine culturel et naturel. Il faut des règlements pour gérer l’occupation des sols, la gestion des ressources naturelles et la localisation des nouvelles infrastructures  – en particulier les réseaux de transport, les services publics et les établissements éducatifs, culturels et de recherche.

Les instruments de planification donnent de la cohérence aux investissements publics et privés et aident à répartir les habitats et les activités. On peut conserver un tissu urbain grâce à un réseau de quartiers et à des villes de taille moyenne. L’expansion d’une ville peut donc être organisée, ralentie ou même stoppée pour éviter l’étalement urbain. Un cadre interministériel doit être mis en place au niveau national pour l’analyse et la prise de décision, mais les autorités locales doivent bénéficier d’une véritable décentralisation et pouvoir intervenir à deux niveaux : au niveau de l’ensemble, pour organiser la gestion d’un vaste territoire urbain, et au niveau du quartier, pour encourager la participation directe des habitants.

Le deuxième front est philosophique et réside dans le contenu même des politiques urbaines. Une politique urbaine efficace doit reposer sur des actions qui contribuent à la raison d’être d’une ville – comme centre de civilité et d’urbanité, lieu d’échanges et de rencontres, lieu où se concentrent les biens culturels et le patrimoine. Cette vision doit être soutenue par la législation, en particulier dans le domaine du logement – permettant par exemple la mixité entre foyers aisés et foyers à bas revenus dans un même quartier – et des infrastructures matérielles et sociales pour garantir l’égalité d’accès aux services éducatifs, culturels et médicaux, notamment pour les jeunes qui seront à l’avenir majoritaires dans les villes.

Une vision politique est nécessaire pour donner une orientation à l’urbanisation. Le développement urbain ne réussira pas s’il n’est pas fondé sur la continuité. Le patrimoine culturel d’une ville, qui fait partie intégrante de ses quartiers et de ses centres historiques, offre aux urbanistes une occasion unique. Un investissement en intelligence – du planificateur national au simple citadin – sera le garant de la prospérité des villes et de leur contribution au progrès de la civilisation humaine.

Sauvegarde et développement

Le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO et ses partenaires ont lancé un Programme pour la sauvegarde et le développement des villes asiatiques du patrimoine mondial au 21e siècle. Ce programme a pour objectif de préserver le tissu historique des villes, témoin du passé et détenteur d’un « héritage » précieux sur lequel reposent l’identité et le développement futur de chaque ville. L’idée est de gérer le développement socio-économique et culturel pour promouvoir la ville comme une entité plutôt que comme une expansion tentaculaire. Certaines activités ont été lancées dans les villes suivantes :

  • Xian, province du Shaanxi (Chine)
  • Lhassa, région autonome du Tibet (Chine)
  • Lijiang, province du Yunnan (Chine)
  • Luang Prabang (Laos)
  • Vallée de Katmandou – Katmandou, Patan et Bhaktapur (Népal)
  • Vigan (Philippines)
  • Manille intra-muros (Philippines)
  • Hué (Vietnam)
  • Hoi An (Vietnam)

Ce programme, fondé sur le principe de la coopération internationale, comme énoncé dans la Convention du patrimoine mondial, engage les autorités provinciales et municipales, les universitaires, les autorités touristiques et les populations locales des villes d’Asie, comme celles des États bailleurs.

Le programme apporte de l’aide dans les domaines suivants :

  • l’évaluation des besoins,
  • le renforcement des cadres juridiques et administratifs pour promouvoir la conservation et le développement,
  • l’intégration du plan de préservation des ressources culturelles dans le plan général d’urbanisme,
  • l’étude et la documentation architecturales, notamment la cartographie des ressources culturelles grâce à des outils comme le système d’information géographique (GIS),
  • l’élaboration de règlements pour la construction et d’orientations pour la conservation des bâtiments historiques,
  • la mise en place de « centres consultatifs du patrimoine », gérés localement, pour la conservation, la réutilisation des bâtiments historiques, etc.,
  • l’établissement d’un crédit géré localement ou de fonds de roulement pour la conservation des bâtiments historiques privés,
  • l’élaboration de plans de développement touristique durable, comprenant des conseils pour financer la conservation avec les revenus du tourisme,
  • l’assistance technique pour des activités éducatives et promotionnelles,
  • la promotion de la participation de la communauté locale à des actions de préservation.

Les partenaires de ce programme comprennent : Le bureau national des biens culturels de Chine et ses bureaux locaux ; les municipalités de Xian, Lhassa, Katmandou, Bhaktapur, Patan, Manille et Vigan ; l’autorité provinciale de Luang Prabang ; les Comités populaires de Hué et Hoi An, les universités de Tsinghua, Trondheim et Bordeaux ; la ville de Chinon (France), le programme de développement de Patan/UDLE/GTZ-Allemagne, la Direction du patrimoine culturel de Norvège, La Commission européenne et les gouvernements de France et des Pays-Bas. Le programme est coordonné par le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui favorise le lien avec d’autres activités internationales et avec le Comité du patrimoine mondial.

L’intégration du développement communautaire et de la préservation des sites du patrimoine culturel par le projet leap -- efforts locaux en Asie-Pacifique

Les règlements visant à protéger et à préserver les monuments et sites culturels, les centres urbains historiques et les paysages culturels on souvent – bien qu’involontairement – dépossédé les habitants locaux de leurs maisons ancestrales. Leurs maisons, leurs quartiers et leur terre, imprégnés de légendes et d’héritages du passé, ont été transformés en parcs et attractions touristiques, soi-disant pour le plus grand bien de la société. Mais bien souvent, ceux qui gèrent les sites n’ont pas d’affinités avec la mémoire collective ; le site n’est qu’un autre atout économique à exploiter, puis à abandonner si les rendements ne justifient plus l’investissement.

L’expérience de l’UNESCO dans le monde entier depuis 50 ans a montré que lorsqu’un site ne bénéficie plus de l’engagement de sa communauté, les problèmes de conservation s’aggravent. La participation constante de la communauté est particulièrement importante dans le monde en développement où les fonds publics ne suffisent pas à couvrir les dépenses de maintenance du site.

LEAP a pour objectif de donner aux populations locales les moyens de :

  • comprendre et défendre la conservation à long terme des sites culturels historiques,
  • jouer un rôle moteur dans le travail de protection, de conservation, de mise en valeur et de gestion du site,
  • retirer des avantages financiers de la meilleure conservation, tout en entretenant les traditions sociales et spirituelles.

Il s’agit d’un projet de développement qui fait participer la population et aborde les questions de conservation de l’environnement, de droit au logement, d’urbanisation et de mondialisation de la culture, dans le cadre de la préservation et de la valorisation du patrimoine culturel. La première phase du projet (1996-1997), lancée dans trois villes historiques participant au Programme pour la sauvegarde et le développement des villes asiatiques du patrimoine mondial au 21e siècle, a été réalisée grâce une généreuse subvention du gouvernement des Pays-Bas à l’UNESCO. Le projet est administré par le Bureau régional de l’UNESCO pour l’Asie et le Pacifique, basé à Bangkok, en coopération avec le Centre du patrimoine mondial et le Siège de l’UNESCO.

Crédits

Texte : Yves Dauge, Roland-Pierre Paringaux, Minja Yang
Direction éditoriale : Minja Yang, Gina Doggett
Assistantes de production : Réjane Hervé, Kate O’Connor
Graphisme et mise en page ayant servi pour l’adaptation de la version Internet :
Idé – 12, Galerie Montmartre, 75002 Paris
Juin 1996

Publication réalisée grâce à une subvention de la Fondation American Express.

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Dates
Date de début : samedi 1 juin 1996
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