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Dialogue entre Refik Anadol et Anab Jain

50 penseurs pour les 50 prochaines années. Imaginer le patrimoine dans la dimension numérique

Refik Anadol

Artiste et concepteur en nouveaux médias, connu pour ses algorithmes d'apprentissage automatique basés sur les données qui créent des environnements abstraits

Anab Jain

Designer, futuriste, réalisatrice, éducatrice, co-fondatrice et directrice du studio de design primé à plusieurs reprises, Superflux

Vision pour les 50 prochaines années

Dans les 50 prochaines années… le patrimoine collabore étroitement avec le monde technologique, l'intelligence artificielle et les institutions de données, et encourage les créateurs à trouver de nouvelles façons pour rappeler, faire vivre et conserver le patrimoine.

Dans les 50 prochaines années… la richesse de l'histoire et du patrimoine du passé est reconnue en tant que fondement pour envisager un meilleur avenir pour l'humanité. Le patrimoine englobe non seulement le patrimoine bâti, mais aussi les histoires et récits par lesquels nous pouvons avoir un sentiment de maîtrise et nous nous sentons reliés entre nous.

Résumé

Le dialogue entre Refik Anadol et Anab Jain s'est centré principalement sur les synergies entre le patrimoine bâti et les technologies numériques. En tant qu'artiste numérique, M. Anadol et Mme Jain ont donné plus de détails sur des projets qui explorent divers outils numériques pour imaginer un meilleur avenir pour la culture et le patrimoine. Mme Jain a expliqué que l'avenir est comme un sédiment reposant sur une histoire et un patrimoine riches, qui sont essentiels pour prendre de meilleures décisions pour l'humanité. Le patrimoine devrait englober non seulement le patrimoine bâti, mais aussi les histoires et récits, ainsi que la planète. M. Anadol a mis en lumière la connexion étroite entre le patrimoine tangible et les technologies virtuelles, dont l'intelligence artificielle et les données numériques. Il a fait part de son intérêt pour mettre au point des archives publiques qui permettent à toute personne du monde entier d'accéder aux données du patrimoine, indépendamment de leur âge ou parcours.

Dialogue

Vos travaux sont très beaux et époustouflants. Vous utilisez principalement les données en tant que matière pour votre art. Au fil des ans, vous avez créé des peintures et des sculptures avec des données dans l'intention de trouver un sens derrière l'idée des données. Mais, ce qui est réellement intéressant est que les données sont utilisées pour tout justifier dans la société. Elles incarnent la puissance, un symbole de l'esprit rationnel, et sont placées sur un piédestal. Mais, vos travaux semblent défier cette perception des données. Qu'avez-vous trouvé ? Comment avez-vous géré ce défi de transformer les données en quelque chose de si éphémère, et peut-être pas aussi important que nous aimerions le croire ?

Tout d'abord, mon parcours avec les données a commencé en 2008. En 2016, durant ma résidence à Google Art and Machine Intelligence, j'ai inventé les locutions « peinture à partir des données de l'intelligence artificielle » et « sculptures à partir des données de l'intelligence artificielle ». Mais le contexte et les échanges étaient en fait reliés. Pour moi, les données sont une forme de souvenir qui peut prendre n'importe quelle forme. Je pense que préserver le patrimoine des données n'est pas si différent. Je suis convaincu que le monde n'est pas prêt à considérer les données en tant que patrimoine. Mais, je pense que nous détenons bien plus d'informations sur le contexte physique de la vie.

Je trouve incroyablement inspirants ces moments où les données deviennent une abstraction de la réalité, par exemple, les données environnementales qui définissent les paramètres des phénomènes qui se produisent dans la nature comme le vent, la température, l'humidité et la pluie et bien plus d'informations que nous réunissons dans la vie, qui ne sont pas si éloignées des rêveries de Monet sur ce qui l'entourait.

Je suis bien plus inspiré par l'idée de l'architecture en tant que toile, lorsque les données et l'architecture se relient par le prisme de la lumière, qui est une toute nouvelle relation symbiotique. Elle génère une nouvelle forme de sculpture. J'ai eu la chance au fil des ans d'être proche du patrimoine mondial de l'UNESCO et de bâtiments incroyables. Nous avons même essayé de trouver des connexions significatives entre les données et le patrimoine de l'UNESCO. En tant qu'artiste, je trouve qu'il est incroyablement inspirant de relier le monde physique et virtuel.

Ce qui est également inspirant est la façon dont nous pouvons transformer le monde physique d'une façon qui ne soit pas uniquement à travers des pixels brillants, mais en tant qu'échanges, peut-être à travers la réalisation de films, comme la création d'un récit ou d'un contexte. Où trouvez-vous que ces connexions inspirantes peuvent être explorées, notamment dans le domaine numérique ? Lorsque nous évoluons dans le multivers ou le métavers, dans l'époque des « vers », nous allons au-delà du monde physique de la vie. Où voyez-vous cette connexion ?

C'est une vraie question. Mon studio, Superflux, explore l'idée d'imaginer par l'expérience différentes fonctionnalités possibles et de leur donner vie. C'est peut-être là où la connexion de la numérisation intervient.

L'idée est donc d'envisager l'avenir tel un continuum : l'avenir n'existe pas sans le passé et sans nos histoires plurielles. Et peut-être que la façon d'inviter ces histoires plurielles dans l'avenir est à travers la numérisation, l'interaction réelle ou la simulation. Je viens d'Inde et vis à Londres, mes parents sont des architectes spécialisés dans la conservation en Inde et ont œuvré au recensement des sites du patrimoine mondial de l'UNESCO. J'ai donc grandi avec l'amour des travaux de l'UNESCO, ayant passé mon enfance entouré de châteaux et forts en ruine. Ce bagage se reflète dans mes travaux, mais l'avenir est enterré dans les structures et les actions réalisées dans le présent et le passé. Qu'il s'agisse de moyen numérique ou de tout autre outil, l'avenir est tout autant l'idée que l'on se fait du patrimoine que le passé en lui-même.

En nous appuyant sur cette idée, vous travaillez beaucoup avec des supports d'archives, d'une certaine façon, vous œuvrez à la conservation de notre patrimoine numérique, n'est-ce pas ?

Oui, c'est tout à fait pertinent. En 2016, j'ai eu la chance de travailler avec la toute première archive à Istanbul appelée SALT, une initiative en code source ouvert avec 1,7 million de documents. C'était le tout premier exemple qui utilisait l'intelligence artificielle et les données publiques dans un environnement immersif. Il s'agissait d'une expérience inspirante pour émettre des hypothèses sur la bibliothèque de l'avenir. Je crois fermement que l'humanité a besoin de cette bibliothèque de l'avenir, où toute donnée ouverte, honnête et éthiquement correcte relative à la mémoire de l'humanité est accessible, comme une sorte d'Alexandrie. Ces six dernières années, nous avons travaillé avec des informations incroyables de différentes archives et d'institutions culturelles. Récemment, la Casa Batlló de Gaudí, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO nous a posé le défi suivant : que signifie conserver le patrimoine culturel par le balayage LIDAR ? Comment pouvons-nous utiliser la chaîne de blocs comme moyen de conserver une bibliothèque ? Je crois fermement que cette bibliothèque imaginaire (une bibliothèque qui détient toutes les informations du monde et qui est accessible à tous) où une interaction peut se produire entre l'intelligence artificielle et les données serait une fonctionnalité incroyable de l'imagination dans les mondes physique et virtuel.

Mes travaux sont profondément reliés aux données et aux archives publiques pour créer un art public, destiné à tous, pour tous les âges ou origines du monde. Le principal défi est la façon de rendre le processus ouvert et stimulant, afin qu'il motive les échanges, mobilise les élans de pédagogie et donne du contexte. J'ai trouvé que les archives de l'humanité, comme toute information ou bâtiment de l'UNESCO, peuvent faire partie de ces données qui sont très importantes.

J'avais aussi ce rêve d'enfant : inventer le langage de l'humanité, qui, je pense, ne peut voir le jour que par les archives de l'humanité.

Le monde de la réalité virtuelle, la réalité augmentée et la réalité étendue connaît un profond changement, reliant les mondes physique et virtuel. Avez-vous trouvé des expériences extrêmement pratiques où les expériences physique et virtuelle sont réunies et explorées par la technologie ? Voyez-vous des ramifications ? Percevez-vous des avantages desquels nous ne sommes pas conscients ?

Cette question est très intéressante, nous sommes en train de l'étudier avec des scientifiques et neuroscientifiques cognitifs, car un des aspects intéressants qui se produit dans nos travaux est de placer des personnes dans des simulations physiques de mondes alternatifs. Nous croyons que cette incarnation physique d'une réalité possible est vraiment importante, car nous ne sommes pas uniquement des esprits rationnels, pensant avec nos cerveaux. Nous pensons à travers nos corps, et il est important d'avoir cette expérience incarnée pour être peut-être en mesure de prendre des décisions plus avisées sur l'avenir. Certains scientifiques cognitifs ont récemment découvert que nous ne pouvons imaginer les êtres de l'avenir sans obligatoirement penser à des personnes différentes. Mais, nous avons des souvenirs ponctuels qui sont des événements clefs de notre passé. Si nous sommes donc en mesure de faire expérimenter l'avenir, les personnes seront en mesure de conserver ces expériences en tant que souvenirs. C'est là qu'il y a une confusion intéressante entre le physique et le numérique. Peut-on créer des « souvenirs ponctuels » et infiltrer le monde numérique avec ces opinions alternatives et mondes pluriels pour qu'ils deviennent des expériences cognitives des personnes ? Donc, ce qui semble aujourd'hui impossible, comme avoir une empreinte de carbone neutre, pourrait devenir une possibilité, car nous pouvons voir ce monde et combien il pourrait être différent. Nous pourrions créer un monde ayant plus de sens pour les générations à venir. Je pense que la technologie peut jouer un rôle important.

Je crois aussi que nous devons faire nôtres les histoires et récits que nous nous racontons les uns aux autres, car c'est ce qui nous connecte en tant que personne. Le patrimoine est un terme très riche, mais il ne s'agit pas uniquement de bâtiments physiques, il s'agit aussi de notre planète physique et de toutes les espèces et l'ensemble du patrimoine sur lequel nous nous construisons. Donc, lorsque nous avons des visions actuelles de l'avenir, elles sont très attirantes et complètement irréelles, et ne correspondent peut-être pas au monde tel qu'il serait, qui serait désordonné.

Le patrimoine nous rappelle constamment que l'avenir est un sédiment qui se construit sur des couches sédimentaires d'histoire riche. Je pense que reconnaître nos histoires et notre patrimoine est l'unique façon d'envisager de prendre de meilleures décision sur l'avenir. Je pense qu'il n'existe aucun avenir sans histoires ou patrimoine. Tel est le lien pour moi.

Lorsqu'il s'agit d'assurer le lien dans le monde numérique avec l'art et le patrimoine, nous aurons certainement besoin de trouver une façon de faire correspondre les données. Je pense que les données sont l'empreinte de l'humanité. Je parlais avec le professeur Ian Hodder de Stanford University qui a mené les fouilles archéologiques de Çatal Höyük en Anatolie, Turquie. Nous avons œuvré avec les résultats de 25 années de fouilles. Cela a été un moment incroyable lorsque j'ai appris que personne n'avait travaillé avec l'intelligence artificielle sur une archive si incroyable. Ces archives incroyables donnent lieu à de nombreuses interprétations, et nous avons été si heureux de voir un tel archéologue et anthropologue légendaire avoir plaisir à utiliser l'intelligence artificielle, qui a démontré comment un corpus de 25 ans peut être restructuré et devenir une expérience. Il y a beaucoup de marge pour les cinq prochaines décennies. Le professeur Hodder a déclaré que les données laissent une trace. Elles sont de la même nature que de trouver un élément physique aussi archéologiquement important que Çatal Höyük. Il a trouvé que le cloud computing avait autant de sens que les archives de l'humanité. C'était fascinant de penser comme ça.

Notre récent projet sur la Casa Batlló de Gaudi a constitué une expérience dans l'utilisation de la chaîne de blocs et des nouvelles technologies qui ne permettent ni l'oubli ni la destruction, et qui est donc, nous l'espérons, une pratique plus profonde. Le moment est peut-être opportun pour imaginer à nouveau d'archiver l'avenir. L'avenir ne sera pas uniquement fabriqué avec les outils dont nous disposons actuellement, mais avec les outils des géants de la technologie, un monde qui invente l'avenir.

Je suis convaincu qu'il est essentiel de collaborer très étroitement avec le monde technologique, avec l'intelligence artificielle et les institutions de données, et, plus certainement encore, avec les créateurs pour trouver de nouvelles façons de se souvenir, de vivre et d'archiver l'avenir. Je crois fermement que nous disposons de suffisamment d'outils, mais que nous avons besoin de davantage de possibilités pour approfondir ces idées.

Je pense qu'imaginer ce que seront nos futurs sites du patrimoine (numériquement et physiquement) est une pensée fantastique sur laquelle nous laissons le lecteur réfléchir.

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Cinq sessions de dialogue couvrant cinq thèmes ont lieu en 2022, chacune étant rejointe par des penseurs de diverses régions pour dialoguer en binôme. Ces dialogues interdisciplinaires inspirent de nouvelles visions pour les 50 prochaines années du patrimoine mondial.

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