Ce numéro spécial de Patrimoine Mondial est entièrement consacré aux interdépendances de la nature et de la culture.

Si la Convention du patrimoine mondial nous a permis de gérer efficacement les valeurs naturelles et culturelles de la Valeur universelle exceptionnelle au sein d’un seul et même instrument international, sa capacité de reconnaître et de tirer les conséquences de leur interdépendance demeure malheureusement sous-exploitée. Comme le montrent les pages qui suivent, la volonté de susciter un rapprochement, de réduire les différences entre nature et culture, de tenir compte de leurs points communs et d’exploiter pleinement les possibilités qu’elles possèdent l’une et l’autre devient de plus en plus apparente. Il convient dès lors d’appliquer des stratégies efficaces de conservation du patrimoine. Cette question a refait surface à l’occasion des dernières réunions du Comité du patrimoine mondial tant dans le cadre des discussions plénières que d’événements connexes consacrés aux défis multiples associés à l’inscription et à la gestion des biens.

L’opposition nature/culture qu’impose le système actuel du patrimoine mondial présente non seulement des défis d’ordre politique et institutionnel, mais elle confronte quotidiennement les États parties et les praticiens du patrimoine à des complexités dans la mise en oeuvre. Pour répondre à cette problématique, le Comité du patrimoine mondial et ses organisations consultatives (ICCROM, ICOMOS et UICN) ont mis en place de nouvelles initiatives visant tant au renforcement des capacités qu’à la recherche et à la pratique intégratives. Ce numéro nous donne l’occasion d’examiner les expériences rencontrées dans ce domaine en se concentrant sur deux points clés. Dans une perspective conceptuelle, il existe désormais un besoin croissant d’envisager le patrimoine naturel et le patrimoine culturel comme deux concepts intimement liés et interdépendants, et non plus comme deux domaines distincts. En termes de gestion, il s’avère également nécessaire de repenser nos approches actuelles qui traitent la gestion de la nature et de la culture indépendamment l’une de l’autre. Certains aspects culturels sont en effet trop souvent négligés dans la perspective de la conservation de la nature et réciproquement. Nous devons par conséquent mettre en place des synergies entre ces secteurs et travailler d’une manière beaucoup plus proactive avec les peuples autochtones et les communautés locales. Les discussions touchant aux paysages culturels, aux sites mixtes et aux sites sacrés soulignent par ailleurs l’importance d’une telle approche.

Cela étant, précisons que ce numéro est publié dans la foulée du Congrès mondial des parcs de l’UICN tenu en novembre 2014, et qu’il soulève deux points d’une importance capitale pour l’avenir du patrimoine mondial dans son ensemble. Le premier point touche à la reconnaissance du fait que l’impact immédiat qu’un site culturel exerce sur ses visiteurs dépend pour une grande part de son adéquation avec son cadre naturel. Cette reconnaissance va de pair avec la réalisation que beaucoup de sites naturels ont été façonnés par d’anciennes connexions culturelles et par un patrimoine bioculturel. Le deuxième point concerne l’urgence qu’il y aurait à adopter une nouvelle stratégie qui favoriserait une étroite collaboration entre le patrimoine mondial (avec ses 197 sites naturels et ses 31 sites mixtes) et d’autres zones protégées dans un effort conjoint de conservation globale des paysages. Non seulement cet aspect revêt-il une importance fondamentale pour la conservation de tous les territoires naturels de la planète, mais il offre aussi une base utile pour la protection de la diversité culturelle.

Au cours de ces dernières années, les organisations consultatives et le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO ont entrepris un effort collectif dans ce sens, en élaborant et en lançant, avec le soutien du Comité, une initiative de renforcement des capacités visant à traiter ces questions et à transmettre les connaissances acquises. Cette transmission serait assurrée par des praticiens du patrimoine naturel et culturel et permettrait une amélioration de la gestion des sites.

Toutes ces questions fondamentales sont exposées dans le détail dans ce numéro qui examine les liens qui unissent la culture et la nature tant dans les rizières en terrasses des Ifugao (Parc national des cordillères des Philippines) que dans le Parc national Río Abiseo (Pérou), ainsi que dans plusieurs sites d’Europe et d’Amérique du Nord.

Kishore Rao Directeur du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO