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Dialogue entre Nicolas Nova et Habiba Djahnine

50 penseurs pour les 50 prochaines années. Vers une représentation équilibrée des sites du patrimoine mondial

Nicolas Nova

Chercheur, écrivain, chercheur en design et anthropologue de la technologie

Habiba Djahnine

Écrivain et cinéaste dont l'œuvre est constituée d'un cinéma dédié à la représentation fidèle des réalités algériennes.

Vision pour les 50 prochaines années

Dans les 50 prochaines années... Les technologies nous permettent de raconter nos propres histoires, d'exprimer des émotions et de partager des valeurs culturelles. Avec l'aide de la technologie, nous sommes capables d'observer des détails enracinés dans diverses cultures et patrimoines, dépassant la façade d'une personne ou d'un pays.

Dans les 50 prochaines années... Les femmes utilisent activement les films documentaires pour montrer et participer à la promotion de leur patrimoine, ainsi que pour préserver, se réapproprier et reconstruire les valeurs du patrimoine qui risquent de disparaître.

Résumé

Nicolas Nova et Habiba Djahnine ont discuté du rôle des nouveaux médias et technologies dans une représentation équilibrée de la culture. Ils ont convenu que les technologies, y compris les films et les documentaires, peuvent accroître la reconnaissance de la culture et du patrimoine de la région sous-représentée, confrontée à une surabondance de culture internationale.

Nicolas a souligné l'importance de prêter attention aux différents aspects de l'identité, de la culture et du patrimoine qui sont cachés derrière la façade. En tant qu'anthropologue observant l'influence de la technologie sur l'humanité, il a parlé de la conception de technologies permettant de connecter les gens et de préserver le patrimoine face à la culture internationale dominante. Habiba a souligné que les films documentaires donnent aux femmes la possibilité de promouvoir leur patrimoine, de démontrer leurs valeurs et de protéger leur culture du colonialisme et de la domination de certains médias. Nous devons créer une nouvelle voie vers la réappropriation du patrimoine en soutenant et en formant les femmes et les jeunes professionnels de la cinématographie qui aspirent à capturer les véritables récits de la "région oubliée".

Dialogue

Je vois que vous êtes une figure de proue de la promotion du cinéma en Algérie. Une chose intéressante concernant notre sujet, la question du patrimoine, est directement liée à mon travail - l'importance de raconter des histoires. Quelle est l'importance de ce concept dans votre travail, notamment lorsqu'il s'agit de la reconnaissance du patrimoine au niveau local, national ou international ?

Juste pour remettre les choses dans leur contexte, nous avons créé une structure indépendante en Algérie comme un espace alternatif où nous pouvions réfléchir avec des collègues, des cinéastes et aussi des militants. Nous pensons à l'image, à la manière dont nous pouvons construire une image de nous-mêmes et donc la narration est au cœur de notre travail.

Je vis en Afrique du Nord, une région du monde qui a été colonisée pendant 130 ans. Et donc, dans nos pays, nous essayons de nous approprier notre culture, et parfois cela se fait de manière autoritaire et violente. Cela signifie que nous devons constamment réfléchir à la manière dont nous racontons nos histoires. Dès que nous prenons une caméra, nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons construire une image de nous-mêmes qui ne soit pas aliénée, qui soit libre, indépendante, non polluée par les différentes idées fausses que nous avons de nous-mêmes. Comment, à partir de notre pratique, nous pouvons porter un regard sur notre patrimoine qui disparaît ou qui est détruit.

Il y a aussi la question de l'inégalité des sexes. Il est très difficile pour les femmes de prendre la parole, elles ont un statut de minorité dans la loi algérienne. Alors même que les femmes sont porteuses d'un patrimoine, comme la poésie ou les coutumes, les habitudes, les rituels. La réalisation de films leur donne la possibilité de raconter leur histoire et de promouvoir leur patrimoine.

Faire des documentaires peut être le moyen de conserver quelque chose qui est en train de disparaître. C'est pourquoi notre approche est extrêmement dynamique, une approche très vivante qui inclut et représente les gens eux-mêmes aujourd'hui. De cette façon, nous essayons d'investir dans l'avenir par le biais du patrimoine, ce qui me semble crucial, car les gens ont parfois un regard étroit sur le passé.

En tant qu'anthropologue, Nicolas, quelqu'un qui s'intéresse à la transmission, comment pensez-vous que nous pouvons avoir une approche différente de la technologie aujourd'hui, et utiliser ces nouvelles technologies sans tomber dans les mêmes pièges ?

On pense que je fais la promotion des technologies, mais je m'intéresse avant tout à l'être humain.

Ce qui m'intéresse vraiment quand je me penche sur l'anthropologie et la technologie, c'est de comprendre comment les êtres humains utilisent ces technologies, comme les smartphones, et la déconnexion entre l'intention des personnes qui produisent ces technologies et la manière dont les gens vont utiliser ces technologies pour faire ce qu'ils veulent, pour agir, pour communiquer....

Et bien sûr, il y a des entreprises qui essaient d'imposer leurs propres objectifs, donc il y a un problème de déconnexion, un risque d'aliénation, la peur que nous puissions perdre notre patrimoine comme notre langue car très souvent ces technologies sont en anglais.

Je travaille actuellement avec un collègue en Haïti, par exemple, sur la question des smartphones. Les gens qui utilisent ces technologies pour répondre à leurs besoins, comment vont-ils trouver un équilibre entre ce qui est imposé par une entreprise technologique et leurs propres besoins ? Il y a une contradiction évidente, mais je pense que les gens essaieront toujours d'utiliser ces technologies comme ils le souhaitent, ce qui peut déranger les entreprises ou les États. Il est important de comprendre cette déconnexion, et de trouver de nouvelles façons de raconter des histoires et de communiquer plus discrètement. Il y a toujours un moyen pour les gens de trouver une solution. Et mon objectif est d'essayer de comprendre la manière dont ils utilisent les technologies pour trouver de nouvelles façons de raconter des histoires.

Mais je voulais vous demander, comment permettre aux gens de se réapproprier leur propre histoire, leur héritage, en utilisant les outils d'aujourd'hui et comment utiliser les outils différemment ? Si l'on prend le cinéma documentaire, comment peut-on le modifier pour raconter des histoires d'une certaine manière ?

Je pense que c'est vraiment ce que nous faisons. En outre, nous avons réalisé un documentaire qui fait appel à des personnes de tout le pays qui n'ont pas nécessairement une formation d'artiste ou un bagage artistique.

Nous essayons de créer des espaces créatifs pour eux, afin de les aider à examiner leurs propres réalités. Ce que nous devons garder à l'esprit, c'est le fait que notre histoire et notre patrimoine perdent de leur valeur à cause du colonialisme, du néocolonialisme et aussi de la domination de certains médias.

Toutes les structures culturellement dominantes dans le monde, comme Hollywood, façonnent la façon dont les gens voient les choses. Il y a un processus d'appropriation et les gens s'éloignent de leur culture d'origine. Nous devons donc regarder les choses d'une nouvelle manière et faire les choses correctement. En d'autres termes, créer une nouvelle voie vers la réappropriation de notre patrimoine.

Par exemple, un jeune stagiaire qui a fait un film sur un bidonville, il est allé dans ce quartier, qui est méprisé à cause de son statut social. Puis le jeune homme commence à travailler avec des gens qui ont été poussés en marge de la société. En faisant cela, il a ramené la culture par la musique, par la solidarité sociale.

Il est très important d'avoir une approche collective, de travailler avec les gens. Nous ne faisons pas des films sur les gens, nous faisons des films avec les gens. Et ce n'est pas quelque chose dont nous étions nécessairement conscients, au départ. Mais c'est ce que nous constatons lorsque nous additionnons les différents patrimoines que les gens produisent.

Et je me demande si votre approche du patrimoine prend en compte ces différentes facettes. Je veux dire, il y a toutes sortes de populations qui sont poussées aux confins de la société. Je me demande comment vous voyez les choses.

Si vous êtes dans un pays comme la Suisse, vu de l'extérieur, c'est une société occidentale et je suis le représentant de cette société ici dans ce panel. Mais il y a toutes sortes de différences, d'accents différents... Dans une ville comme Genève, vous avez des gens du monde entier ou des organisations internationales, et j'ai des étudiants qui offrent toutes sortes d'origines, raciales, culturelles...

Même là où je suis, à Genève, il y a de l'irritation lorsque certaines choses sont imposées comme des modèles à suivre.

Historiquement, si vous regardez l'histoire des Alpes, par exemple, il y a beaucoup d'approches différentes qui ont existé dans le passé. Et cela a été négligé. Donc il y a une manière de reprendre les histoires du passé et de les retravailler. Et dans le cadre de la transmission, il y a deux choses qu'on devrait apprendre à nos étudiants : aller derrière la façade d'une personne d'un pays. Parce qu'il peut y avoir beaucoup plus que ça dans cette personne. Par exemple, ma grand-mère était brésilienne, mais si vous me regardez, qui le saurait ? Cela signifie que vous devez prêter attention à l'autre partie de l'identité.

Et puis c'est la deuxième chose. Il faut savoir observer et écouter, pour pouvoir créer, comme vous le disiez tout à l'heure.

Je vois cela avec les jeunes. Il faut leur apprendre à observer, à voir des détails qui peuvent paraître insignifiants, mais à partir de ces détails, on peut raconter des histoires qui sont importantes pour soi, qui peuvent être liées à des aspects culturels, à la musique, à l'histoire, à des choses qui nous parlent. Très souvent, ces aspects ont été mis de côté à cause de la culture internationale "légitime" - les gens ont perdu de vue leurs racines. Si vous voyez la façon dont les gens voient le monde, racontent des histoires, expriment des émotions, des peurs, il y a matière à développement.

Nous essayons toujours d'examiner la technologie du design et de voir comment nous pouvons travailler avec elle. C'est une question non seulement de design, mais aussi d'éthique.

C'est crucial. Donc tout d'abord, notre formation est destinée aux jeunes de moins de 35, 40 ans. On voit qu'il y a une vraie passion pour l'histoire, la culture, le patrimoine, et une envie de chercher une certaine vérité. Et de s'éloigner de la ligne officielle et de voir comment ces petites histoires peuvent raconter la grande histoire.

L'un de nos stagiaires a proposé un film qui a été projeté dans les cinémas en 2022. Il met en scène une femme qui était bergère. La réalisatrice s'est rendue dans son village et a travaillé avec des personnes qui perpétuaient d'anciennes traditions. Un groupe de femmes s'est créé, se relayant pour s'occuper de la chèvre et travailler dans les champs. Pendant qu'elles faisaient les travaux des champs, d'autres s'occupaient de prendre soin des enfants, d'emmener les gens chez le médecin. Il s'agit donc d'une sorte de système d'entraide basé sur la solidarité dans le village.

Et c'est un film fantastique, outre le fait qu'elle a réussi à capturer cette solidarité dans ce système séculaire qui avait été oublié, toute cette relation perdue avec la terre a été réintroduite par ces femmes. Elles vont même nettoyer les cimetières, qui sont des lieux de mémoire. C'est formidable que ces jeunes hommes et femmes reviennent dans ce monde oublié.

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Cinq sessions de dialogue couvrant cinq thèmes ont lieu en 2022, chacune étant rejointe par des penseurs en dialogue par paires de diverses régions. Ces dialogues interdisciplinaires inspirent de nouvelles visions pour les 50 prochaines années du patrimoine mondial.

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