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Camp de concentration du Tarrafal

Date de soumission : 15/03/2016
Critères: (iii)(vi)
Catégorie : Culturel
Soumis par :
Ministère de la Culture
État, province ou région :
Ille de Santiago, Région Administrative du Tarrafal
Coordonnées N15 17 W23 46
Ref.: 6102
Avertissement

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Les noms des biens figurent dans la langue dans laquelle les États parties les ont soumis.

Description

Le Camp de Concentration de Tarrafal est ancré dans les esprits des Portugais, Angolais, Guinéens et Cap-Verdiens comme le « camp de la mort lente » ou de « mort ». Pendant plus de trente ans de fonctionnement il a servi à pratiquer les crimes les plus odieux, laissant des cicatrices physiques et psychologiques irréversibles chez ceux qui se sont audacieusement opposés à l'ordre politique et social existant du Nouvel État (dictature portugaise). Celle-ci était la solution mutatis mutandis prônée par le régime de Salazar tout comme d'autres régimes totalitaires qui ont émergé en Europe dans la première moitié du XXe siècle.

Erigé par le décret n°26, 539 du 23 avril 1936, la colonie pénale de Tarrafal a reçu ses 152 premiers prisonniers le 29 octobre de cette année. Le camp a fonctionné jusqu'en 1956. Dans cette première phase, il a servi pour recevoir les antifascistes portugais, parmi eux, Bento Goncalves et Mario Castelhano dirigeants de la PCP et de la CGT, qui sont décédés au camp.

Après plusieurs années de fermeture, il rouvre ses portes en 1962, sous le nom de camp de travail de Chão Bom et sera cette fois-ci, destiné à incarcérer les anticolonialistes de l'Angola, de la Guinée Bissau et du Cabo Verde. Au total, plus de 500 personnes détenues, dont 340 antifascistes et 230 anticolonialistes ont été détenus.

Localisé à Chão Bom, en bordure de la ville de Tarrafal (Mangue), dans une région inhabitable et isolée, le camp était une solution pragmatique du régime de Salazar, empêchant de cette façon les prisonniers de communiquer avec l'extérieur, ce qui compliquait toute tentative d’évasion en provocant aux déportés un effet décourageant.

Parallèlement à cela, le choix de Tarrafal de Santiago prétendait créer une certaine confusion dans les familles et proches des prisonniers. En effet, la première expérience de déportation massive des prisonniers politiques, a commencé en 1931 au Camp de Concentration de Tarrafal de l’île de São Nicolau. Ces deux localités homonymes situées dans deux îles différentes, limitaient l’accès aux informations relatives aux prisonniers et fonctionnait comme un moyen de dissuader les membres de la famille de chercher les prisonniers.

Pour l’exécution de ce projet, l'Etat Nouveau a eu l'aide de la police politique (PIDE). Cette police, inspiré par son homologue allemand (Gestapo), fonctionnait comme un mécanisme de censure et de répression et était conçu pour assurer l'intégrité du régime.

Le complexe pénitentiaire de Tarrafal se composait de plusieurs bâtiments, beaucoup d'entre eux construits en utilisant le travail forcé des premiers prisonniers. Ainsi, dans le complexe pénitentiaire, on trouve des bâtiments tels que des casernes pour les soldats, une buanderie, une centrale électrique, un bureau du secrétariat, des entrepôts, une cuisine, un réfectoire, une chapelle et la résidence pour les chefs et la police.

Le camp de concentration possède un plan rectangulaire entouré de murs de béton, ce qui reflète le système de défense des forteresses médiévales caractérisé par sa grandeur et son inviolabilité.

Les conditions de vie dans le camp de concentration étaient dures et déplorables. Les abus, l'isolement et l'humiliation auxquels les prisonniers étaient soumis ont conduit beaucoup d’entre eux à la mort ou ont laissé des conséquences psychologiques et physiques. Mise à part le travail forcé, la torture était fréquemment pratiquée comme la frigideira (petite cellule de 9m2 en ciment sans fenêtres et toit et exposée au soleil qui pouvait contenir jusqu’à 17 prisonniers en même temps), la statue, la torture de sommeil ou les coups, constituent des exemples des pratiques inhumaines infligés aux prisonniers. De plus, la mauvaise alimentation et l'eau insalubre, souvent contaminée, ont contribué à aggraver la situation précaire des prisonniers. Les prisonniers ont souffert des maladies, étant le paludisme, la biliose, la tuberculose et les infections intestinales les affections les plus courantes. Les soins médicaux étaient pratiquement de nature criminelle restant gravé dans la mémoire des prisonniers le docteur Esmeraldo Pais da Prata, qui lors de son arrivé au camp a prononcé les mots suivants: Je ne suis pas ici pour guérir, mais pour certifier les décès. Au total, trente-six Portugais sont morts dans la première phase de fonctionnement du camp et au moins deux Guinéens ont subi le même dans la phase suivante.

Dans le camp, les prisonniers ne pouvaient pas lire des journaux ou des livres jugés dangereux ou subversifs, leurs correspondances étaient censurées et les autorités évitaient tout le contact entre les prisonniers de différentes nationalités. Ceci était utilisé comme un moyen de limiter la liberté tout en maintenant les détenus déconnectés de la réalité et de ce qui se passait en dehors de la prison.

Le camp de concentration, malgré sa durabilité relative, a seulement ouvert ses portes pour libérer les prisonniers le 1er mai 1974, suite à la Révolution des Œillets du 25 Avril de cette année. Dans ce sens, le camp de concentration de Tarrafal représente un symbole de la résistance contre les politiques du régime de Salazar et évoque un site de mémoire douloureux qui témoigne du prix de la liberté.

En résumé, le but de cet camp, conçu à l'origine pour réprimer, censurer, torturer, castrer, et faire taire les opposants du régime, n'a pas eu l'effet envisagé, par la volonté de liberté, la dignité, l'autodétermination, la rationalité, et, finalement, l'humanisme transcendant l'irrationalité rappellent ce que le poète Corsino Fortes a écrit « les cloches du silence résonnent dans le creux de la coupole des souvenirs qui rêvent. »

Justification de la Valeur Universelle Exceptionnelle

Critère (iii) : Sculpté sur les pierres, le site du camp de concentration de Tarrafal est le témoignage éloquent du passé obscure du régime dictatorial de Salazar.

Pendant les cinquante ans de duré du régime, celui-ci a pris des contours totalitaires, comme le fascisme italien et le nazisme allemand, inspirés par la triade « Le Dieu, la Patrie et la Famille ». Dans le plan générique, le Nouvel Etat a dicté la fin du multipartisme et du syndicalisme libre, imposant la répression et la censure par la police du régime (PIDE) et publié l'acte colonial.

Pour ces raisons et d'autres, des mouvements réactionnaires ont vu le jour et opéraient dans la clandestinité. C’est le cas du Parti Communiste (PCP) et de la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), inspiré par les idéaux du Marxisme-Léninisme. Le fondateur du PCP, Bento Gonçalves, était l'une des victimes du « camp de la mort lente ». En plus des antifascistes portugais, le camp abritait aussi dans sa première phase des prisonniers d’autres nationalités comme des polonais et des allemands. Avec le début de la guerre coloniale et en raison de l'intransigeance de Salazar qui a proclamé le Portugal comme « une et indivisible » et du « Minho au Timor », le camp de concentration a rouvert ses portes pour recevoir des prisonniers africains de l'Angola, de la Guinée Bissau et du Cabo Verde.

En résumé, le camp de concentration du Tarrafal, dans l'univers des arrestations politiquement motivées, représente le summum de l'un les plus sombres des régimes totalitaires du XXe siècle, le régime de Salazar. En effet, le camp est dans la mémoire collective des libérateurs de deux continents, entre les Portugais, Angolais, Guinéens et Cap-Verdiens et non seulement comme un « camp de mort lente », mais aussi comme une des phrases utilisées lors des manifestations au Portugal contre le régime dictatorial en honneur des prisonniers politiques « Tarrafal plus jamais ».

Critère (vi) : La ville de Tarrafal porte en elle même une ambivalence. D'une part, son potentiel de plage et de tourisme, et de l'autre, elle symbolise un « chapitre noir » dans l'histoire de l'humanité, par le camp de concentration qui témoigne et perpétue le régime de Salazar. Ce monument représente le triomphe de l'esprit humain de la liberté et de l'autodétermination, contre l'intolérance, les idéologies radicales et le nationalisme exacerbé.

Compte tenu de sa valeur transnationale, le camp est sujet d'intérêt de la communauté scientifique internationale, ayant comme résultat une variété de productions littéraires, films, documentaires, des arts reflétant cette thématique, entre autres. Par exemple, dans les productions littéraires, il y a beaucoup des oeuvres d'anciens prisonniers, tels que José Luandino Vieira, Pedro Martins, Edmundo Pedro, Francisco Soares. Il y a aussi des productions cinématographiques telles que « Tarrafal : Mémoires du Camp de la mort lente », réalisé par Adriana Andringa et « Il y a 70 ans, le Tarrafal : les derniers survivants », interprété par Fernanda Paraiso.

Déclarations d’authenticité et/ou d’intégrité

Le camp de concentration de Tarrafal présente un témoignage unique de la politique du régime dictatorial de Salazar au Portugal mais aussi de son application dans les colonies portugaises en Afrique.

Ce camp de détention reste unique dans le territoire lusophone africain du point de vue de conservation des structures qui la composent (les autres prisons ou centres ne sont pas bien conservés ou sont disparus) et du point de vue des prisonniers réunissant différentes nationalités.

Tarrafal, est un symbole de la lutte contre le nazisme qui a traversé les frontières faisant l’objet de revendications lors des manifestations au Portugal contre le régime dictatorial de Salazar.

Protection et Gestion

Le camp de concentration a été classé Patrimoine Culturel National par la résolution nº33/2006 du 14 août.

Utilisé lors de sa fermeture comme centre d’instruction militaire, le site préserve dans son intégrité ses caractéristiques d'origine et est en bon état de conservation. Depuis l’an 2000 le site abrite le Musée de la Résistance.

En vue d’améliorer la gestion du site et d’assurer son administration, la Curadoria ou cellule de gestion du camp de concentration de Chão Bom, Tarrafal a été créé à travers de la Résolution n°64/2014 du 12 Août. Dès lors, plusieurs actions ont été mises en oeuvre visant la valorisation du site, à savoir, l’organisation de conférences, la signalétique, la réhabilitation de l'espace, les actions de sensibilisation de la communauté locale ainsi que l’élaboration (en cours) du plan de gestion.

En janvier 2016, le nouveau Musée de la Résistance fut inauguré. Ce musée, représente la volonté de préservation, promotion et valorisation de ce patrimoine ainsi que la responsabilité de préserver cette partie de l’histoire.

Comparaison avec d’autres biens similaires

Le camp de concentration de Tarrafal, par ses éléments structurels, historiques, fonctionnels et symboliques présentent des similitudes à d'autres espaces construits pendant la durée des régimes totalitaires qui ont existé en Europe (1933-1945), comme les camps d’Auschwitz et de Dauchau.

Dans le régime de Salazar, autres prisons ont été créé comme: Caxias, Peniche et Angra do Heroísmo au Portugal; Ilha das Galinhas en Guinée-Bissau; Sao Nicolau en Angola ou Machava au Mozambique. Cependant, la durabilité, le bon état de conservation de ces infrastructures, la nature des détenus (prisonniers de différentes nationalités) et le degré de gravité de la violence et du traumatisme provoqués par le camp de concentration de Tarrafal font de ce camp un site unique qui se démarque du reste. En effet, Tarrafal est un témoignage exceptionnel en Afrique lusophone par rapport à son état de conservation et l’importance créé dans la mémoire collective non seulement des cap-verdiens mais des portugais et autres pays africains colonisés par le Portugal.

Le camp de concentration de Tarrafal, par ses caractéristiques ci-dessus présentées, trouve une certaine ressemblance au site de Robben Island (Afrique du Sud), inscrit sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO en 1999. En effet, il s’agit d’un camp de concentration situé aussi sur une île, dans un milieu hostile et sur le continent africain qui a reçu des prisonniers politiques. Par contre, la nature et les circonstances d’emprisonnement sont très différentes, étant liés à des moments historiques et contextes distincts qui font de Tarrafal un témoignage d’une époque clé en Europe dans le XXème siècle.

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