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Dialogue entre Rachel Sibande et Johanna Figueira

50 penseurs pour les 50 prochaines années. Imaginer le patrimoine dans la dimension numérique

Rachel Sibande

Spécialiste du développement numérique et des données et entrepreneur social

Johanna Figueira

Entrepreneur, spécialiste du marketing numérique et militante de la technologie

Vision pour les 50 prochaines années

Dans les 50 prochaines années… Les jeunes sont à la tête de la cartographie des sites du patrimoine, créant et proposant des solutions innovantes pour le patrimoine. Les femmes ont un accès égal aux plateformes numériques et sont dotées des compétences nécessaires pour être utiles aux objectifs du patrimoine dans le domaine numérique.

Dans les 50 prochaines années… les réseaux sociaux apporteront des effets positifs aux communautés locales pour sensibiliser au sujet du patrimoine, partageant leurs propres histoires et défendant leurs cultures.

Résumé

Le dialogue entre Rachel Sibande et Johanna Figueira s'est centré autour de la réalisation du potentiel numérique des communautés. Elles se sont accordées à dire que la technologie peut bénéficier aux communautés locales pour partager leurs propres histoires et mettre au point des solutions innovantes qui serviront à protéger leur patrimoine. Mme Sibande croit que les femmes doivent bénéficier d'un accès égal aux plateformes numériques. Elle a aussi souligné le pouvoir qu'ont les jeunes dans la dimension numérique, en tant que cartographes, créateurs et innovateurs pour le patrimoine. Mme Figueira a fait part de son optimisme pour ce qui est du pouvoir de la technologie en faisant référence à la façon dont les communautés vénézuéliennes ont utilisé les réseaux sociaux pour mobiliser pouvoir et solidarité afin de réagir à leurs problèmes et de protéger leur patrimoine.

Dialogue

Je suis ravie de vous rencontrer, Rachel. Vous travaillez dans un incubateur que vous avez mis au point et créé. Alors que vous travaillez avec des jeunes, quel potentiel ont-ils, selon vous, pour protéger le patrimoine dans leurs communautés au Malawi ?

En tant que plateforme technologique et parmi toutes les autres initiatives que nous entreprenons, nous nous employons à faire prévaloir la mise au point de solutions technologiques. Nous formons les jeunes à acquérir des compétences numériques allant des technologies de l'information et de la communication (TIC), des compétences de développement d'applications web et d'applications mobiles, à la robotique, l'apprentissage automatique, les mégadonnées, l'Internet des objets, etc., mais nous les formons aussi pour qu'ils sachent comment cartographier leurs communautés. Ils cartographient également les sites du patrimoine ou les monuments culturels en utilisant OpenStreetMap et Google.

Mais, pour répondre à votre question, nous voyons beaucoup de potentiel chez les jeunes, et ce, de nombreuses façons. Tout d'abord, les jeunes sont les meilleurs cartographes des sites du patrimoine. Comme vous le savez déjà, il est très important de cartographier ces sites pour faciliter leur accès. Nous trouvons également que les jeunes sont de grands créateurs de contenu, pour compléter ce qui existe déjà dans ces sites du patrimoine. De manière générale, ce sont des citoyens numériques et des passionnés de technologie. Ils sont également les citoyens numériques les plus remarquables de cette génération et ils ont donc un rôle à jouer dans la création de solutions technologiques innovantes. Il pourrait s'agir de documents en 3D ou de l'usage de technologies spécifiques pour cartographier les sites du patrimoine ou pour créer des chaînes de blocs pour faciliter le partage de l'information ou l'intelligence artificielle.

En effet, la réalité virtuelle peut aider leur communauté et le monde à expérimenter le patrimoine au sein même de leur communauté. Tel est donc le potentiel que nous observons chez les jeunes, et c'est pourquoi nous investissons dans la formation. La plupart de ces jeunes deviennent des consommateurs, mais aussi des créateurs de solutions technologiques.

D'après la vision que vous avez sur les travaux que vous menez, comment percevez-vous la fracture numérique affectant l'accès au patrimoine ?

C'est une très bonne question. Si l'on adopte un point de vue optimiste, nous sommes conscients qu'accéder à des technologies de haut niveau n'est pas toujours possible pour tous, mais lorsque la technologie progresse et devient populaire, ses coûts diminuent et elle devient ainsi plus accessible à un plus grand nombre de personnes. Tout un chacun peut donc avoir accès à un certain degré de technologie lorsque celle-ci devient populaire. Si vous repensez à Internet d'il y a 30 ans par rapport à aujourd'hui, presque la moitié de la planète a désormais un téléphone portable, ce qui équivaut pratiquement à avoir un ordinateur dans sa poche.

Je pense qu'il y a 30 ans, personne n'aurait imaginé que cela se produise. Toutefois, beaucoup reste encore à faire, certaines communautés n'y ont encore pas accès, même si plus de la moitié de la population mondiale détient un téléphone portable, ce qui à mon avis est incroyable. Alors que les choses progressent, les communautés ont de plus en plus accès à ce que nous appelons le monde numérique.

Il n'est pas uniquement question de se former davantage et d'acquérir plus de connaissances, il s'agit d'utiliser la technologie pour raconter leur propre histoire et pour protéger leur patrimoine culturel. Au Venezuela, par exemple, une collaboration est menée avec une organisation qui est en contact avec des régions très éloignées et inaccessibles, et la stratégie numérique est utilisée pour transmettre de la musique et des histoires dans des lieux qui sont inconnus même au sein du pays lui-même.

Je pense qu'il s'agit d'une merveilleuse façon d'accéder à la technologie numérique, tout en préservant le patrimoine culturel et en faisant mieux connaître ces cultures.

Je pense que nous pouvons rêver de la possibilité de la réalité virtuelle jouant un rôle dans les 50 prochaines années, avec une expérience plus immersive. Ces technologies sont aujourd'hui limitées, mais tout comme avec les téléphones portables, le jour viendra où l'accès sera facilité. Je suis donc bien plus optimiste s'agissant de la fracture numérique et de l'accès au patrimoine culturel.

Nous échangeons également sur la variété des outils disponibles aujourd'hui pour le patrimoine culturel et le patrimoine mondial. Quels sont les outils les plus faciles et accessibles qui pourraient être créés par le public pour préserver et protéger le patrimoine culturel ?

Vous évoquiez le téléphone portable qui est effectivement l'objet numérique le plus progressif de TIC qui existe et qui existera jamais. Lorsque nous parlons de réduire la fracture numérique, je pense que la convergence vers le numérique ne se produira que sur le téléphone portable.

Pour répondre à votre question, où devrions-nous déployer des outils numériques pouvant créer ou sensibiliser sur le patrimoine ?

Je pense que notre premier objectif devrait être le téléphone portable puisqu'il est utilisé par la majorité de la population dans le monde, même dans les pays les moins développés. Les femmes auront au moins accès à un téléphone portable et non pas à un autre gadget supplémentaire. Il est donc important de prendre en compte les plateformes telles que les réseaux sociaux où nous avons vu de nombreux contenus audiovisuels populaires, car ils sont attractifs et les personnes peuvent s'identifier avec.

Mais les téléphones portables sont devenus une plateforme très facile d'accès, il est donc important de prendre en compte les personnes malvoyantes ou qui entendent mal. Nous devrions envisager les disparités qui existent en termes d'accès et d'usage des plateformes mobiles. Dans la plupart des pays, nous constatons que moins de femmes ont accès à ces plateformes que les hommes. Il est donc tout aussi important de prendre en considération ces aspects alors que nous les mettons en place pour sensibiliser sur le patrimoine numérique.

Pensez-vous donc que le patrimoine culturel et naturel peut être une source de résilience collective, notamment parmi les communautés marginalisées ou défavorisées ? Et, si tel est le cas, comment pensez-vous que la technologie numérique puisse réellement renforcer cette résilience ?

Pour moi, cette question donne suite à l'échange que nous avons eu précédemment, et à l'exemple des Vénézueliens qui, grâce à la technologie, ont été en mesure de dépasser une situation de crise dans leur pays et de promouvoir leur culture. Cela peut sembler une démarche d'ordre commercial, mais si vous considérez les avantages culturels découlant de la préservation des traditions, je pense que le résultat est formidable.

Un autre exemple serait la façon dont les communautés marginalisées utilisent la technologie et les réseaux sociaux. J'ai vu, particulièrement au Canada et aux États-Unis, les communautés utiliser les réseaux sociaux pour améliorer la compréhension de leurs communautés et de leurs cultures des premières et secondes générations en partageant leurs connaissances ancestrales. Elles sont devenues des ambassadrices de leur peuple et ont des milliers d'abonnés qui n'auraient autrement jamais connu leurs cultures.

Je pense que les personnes qui utilisent les réseaux sociaux et s'adaptent à leurs audiences acquièrent une richesse culturelle. Toute personne peut raconter son histoire, qui n'aurait pas pu être possible dans une situation différente. Il s'agit d'une forme de résilience dans le monde numérique, une façon de dire « nous existons ».

Rachel, vous mentionniez quelque chose de très important s'agissant des femmes et de leur accès à la technologie. Nous savons tous que les femmes ont un rôle très important à jouer en tant que porteuses des traditions culturelles dans leurs communautés. Pensez-vous que les transformations numériques représentent une menace au rôle crucial joué par les femmes ou peuvent-elles l'utiliser à leur avantage ?

Cette question est très pertinente. Il ne fait aucun doute que les femmes sont les gardiennes de notre patrimoine. À titre d'exemple, la plupart des impressions artistiques des Chewas dans un des sites du patrimoine mondial de mon pays sont principalement représentées par les femmes. Elles sont les conteuses.

Toutefois, il y a moins de femmes sur les plateformes numériques ou de femmes pouvant accéder aux compétences numériques tangibles pour pouvoir se connecter à Internet et naviguer sur des plateformes numériques. Alors que nous passons le contenu et les sites du patrimoine culturel au format numérique, nous devons prendre en compte d'autres interventions collectives et des collaborations avec d'autres secteurs pour améliorer l'accès et l'utilisation des compétences numériques pour tous. Il existe aussi plusieurs normes culturelles et sociales qui dissuadent les femmes d'avoir un plein accès, contrôle et utilisation des plateformes numériques. Ces discours doivent être détricotés au sein de nos communautés et organisations sociales.

Nous ne pouvons imaginer un développement significatif ou une transformation autour des connaissances et de la sensibilisation de nos sites du patrimoine si nous ne prenons pas en compte les femmes, qui représentent près de la moitié de la population mondiale.

Johanna, je sais que vous avez utilisé la puissance de la production participative pour sauver des vies, ce qui est extraordinaire. Les hashtags et la production participative offrent-ils selon vous un potentiel pour sauver le patrimoine qui est en danger ?

Il s'agit d'une excellente question. J'ai l'impression que les sociétés ne sont pas encore vraiment arrivées à trouver la meilleure façon d'optimiser le potentiel des réseaux sociaux pour s'unir et faire face à un événement négatif.

J'ai un exemple au Venezuela où un événement malheureux a eu lieu, lorsqu'un site du patrimoine mondial n'a pas été respecté. Dans ce cas, les réseaux sociaux ont été le point de rencontre de tous les citoyens du Venezuela pour exprimer leur désaccord avec cet événement. Les conséquences qui en ont découlé ne se seraient jamais produites autrement. Cela a permis de sensibiliser les personnes visitant le site et les citoyens en général, permettant ainsi de valoriser le site.

Les messages viraux et les hashtags ont été utilisés en tant qu'outils pour défendre le patrimoine. Il s'agit d'un exemple de la façon dont les réseaux sociaux peuvent être utilisés dans un cadre cohérent pour le bien commun en tant qu'effet positif pour protéger et sauvegarder les sites du patrimoine mondial.

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Cinq sessions de dialogue couvrant cinq thèmes ont lieu en 2022, chacune étant rejointe par des penseurs de diverses régions pour dialoguer en binôme. Ces dialogues interdisciplinaires inspirent de nouvelles visions pour les 50 prochaines années du patrimoine mondial.

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