Massif du Fouta Djallon
Délégation Permanente de la République de Guinée auprès de l'UNESCO
Moyenne Guinée
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Description
Le massif du Fouta Djallon jouit d'une situation stratégique dans l'ouest africain et regorge de trésors naturels et culturels exceptionnels.
Situé au centre-nord de la République de Guinée, il s'étend sur une superficie d'environ 47 000 km2, avec des extensions sur sa zone périphérique au Mali, en Guinée Bissau, en Sierra Léone et au Sénégal. Avec ses paysages montagneux, ses nombreuses forêts, ses cascades spectaculaires et ses multiples cours d'eau, la valeur exceptionnelle du massif réside à la fois dans i) son apport essentiel dans le potentiel hydrique de la quasi-totalité des pays d'Afrique de l'Ouest, ii) son immense réservoir de diversité biologique, et iii) la présence de multiples sites et vestiges d'un patrimoine culturel, matériel et immatériel, inestimable pour les générations actuelles et futures.
A ce titre, la protection permanente de ce patrimoine est de la plus haute importance pour la communauté internationale.
1. Un patrimoine universel
1.1 Le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest
Le massif du Fouta Djallon est unanimement reconnu comme étant « le château d'eau de l'Afrique de l'ouest » en référence aux nombreux fleuves internationaux qui y prennent leur source.
Le massif abrite en effet plus de 8000 têtes de source qui alimentent un réseau de 1165 cours d'eau dont la confluence donne progressivement naissance à des rivières et fleuves regroupés en 23 bassins versants, dont 14 sont transfrontaliers. C'est de ce massif que partent les fleuves les plus importants de la sous-région, tels le Niger, le Sénégal ou le fleuve Gambie. Le réseau hydrographique desservi par les eaux qui s'écoulent du massif s'étend à neuf autres pays d'Afrique de l’Ouest : le Bénin, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et la Sierra Leone.
La situation géographique du massif joue également en sa faveur et lui confère une autre importance exceptionnelle : confronté aux vents d'ouest et à mesure que l'air humide s'élève au dessus de ses reliefs, le massif enregistre une pluviométrie abondante (2 m en moyenne par an) et le pouvoir tampon de ses forêts renforce la fonction de réservoir attribuée au site pour tous les fleuves d'Afrique de l'Ouest.
Plus de 1000 m3 d'eau ruissellent annuellement du massif du Fouta Djallon, ce qui en fait l'une des principales sources de réalimentation des eaux souterraines de la sous-région, essentielles pour répondre aux besoins domestiques et agricoles de 300 millions d'habitants. A titre d'exemple, 60% de l’eau potable consommée à Dakar et 100% de celle consommée à Nouakchott viennent du fleuve Sénégal. Le massif du Fouta Djallon est aussi la source des « eaux vertes » qui alimentent les nappes aquifères dont les extensions couvrent une grande partie du Sahara (Maroc, Algérie et Libye).
L'importance naturelle de ce site transcende donc les frontières de la Guinée. L'intérêt de préserver le massif du Fouta Djallon afin d'assurer le régime des eaux et de veiller à sa régularité en Afrique de l'Ouest (et au-delà) se justifie pleinement.
1.2 Un site à la richesse biologique remarquable
Le paysage du Fouta Djallon est constitué de savanes arborées, de forêts ouvertes et de forêts galeries qui abritent de nombreuses espèces végétales et animales, dont certaines sont endémiques. En particulier, le massif contient des espaces naturels remarquables avec 56 forêts classées et deux aires protégées : le Parc National du Moyen Bafing et la Réserve Naturelle de faune de Gambie Falémé.
Les inventaires réalisés dans le secteur du massif du Fouta Djallon et plus largement en Moyenne Guinée montrent toute la richesse de la faune dans cet espace. On y retrouve entre autres des chacals, des léopards, des bovidés, des hippopotames, des primates, des colobes bais (espèce en voie de disparition), des babouins et des chimpanzés (Pan troglodytes verus). Bien que cette dernière espèce soit en danger critique d'extinction (selon l'UICN), les populations de chimpanzés du Fouta Djallon sont les plus importantes recensées en Afrique de l'Ouest (près de 17 700 individus), avec une abondance accrue dans le secteur du Parc National du Moyen Bafing.
Cette riche diversité biologique est à mettre l'actif d'une politique ambitieuse de la République de Guinée qui a entrepris d'importants efforts ces dernières années pour étendre son réseau de parcs nationaux et atteindre l'objectif de 30% d'espaces naturels protégés d'ici 2030 sur l'ensemble de son territoire.
La diversité biologique du Fouta Djallon est d'une importance capitale pour l'alimentation et l'agriculture des régions voisines du massif. C'est une richesse à protéger et à préserver, et la demande d'inscription du massif sur la liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO prend, encore une fois, tout son sens.
1.3 Un territoire à la croisée d'une histoire ethnique et culturelle majeure
Le territoire du massif du Fouta Djallon regorge également d'innombrables vestiges, monuments et paysages culturels d'une grande importance historique et archéologique. Au-delà de ce patrimoine physique, plusieurs croyances, pratiques rituelles, manifestations culturelles et artistiques sont aussi toujours vivantes et continuent d'être transmises de génération en génération.
La présence de ces vestiges matériels et immatériels fait d'abord historiquement référence à l'existence d'un Etat du Fouta Djallon, le royaume du Fouta théocratique, qui fut créé au milieu du 18ème siècle sous l'influence d'un Chef peul. Plusieurs sites témoignent des formes d'organisation politique, sociale et religieuse les plus représentatives de cette époque : à titre d'exemples, la case de couronnement des Almamy du Fouta et le site des neuf Diwés (1) font partie des biens les plus caractéristiques de la civilisation peule de cette époque, encore visibles aujourd'hui.
D'autres sites témoignent malheureusement d'une période beaucoup plus troublée : celle de l'esclavage. De Timbo à Farinya, une route tristement célèbre fut un des hauts lieux du ratissage et du transport d'esclaves depuis les contrées du Fouta Djallon jusqu'à la façade atlantique (estuaire du Rio Pongo) avant leur embarquement pour Gorée, la Caroline du Sud ou les Caraïbes. Aujourd'hui, cet axe routier constitue un site mémoriel d'importance pour la Guinée (2) et pour le massif du Fouta Djallon tout entier.
Cet héritage culturel et historique inestimable du massif du Fouta Djallon est protégé et jalousement conservé par des communautés locales qui défendent, encore aujourd'hui, un mode d'organisation sociale, des croyances, des pratiques ancestrales et des traditions liées à cet héritage.
Les éléments immatériels ne sont pas en reste : plusieurs mythes et traditions spirituelles sont aussi pratiquées de nos jours, en particulier au niveau des principales têtes de sources qui jaillissent du massif et sur les berges de certains cours d'eau en aval.
Ce patrimoine culturel exceptionnel, hérité d'une histoire lointaine, riche de ces évènements glorieux et douloureux, font du Fouta Djallon une entité paysagère et culturelle unique à défendre et à préserver.
2. Un territoire vulnérable aux pressions anthropiques et au changement climatiqueLa pression démographique et les activités humaines, conjuguées aux effets du changement climatique, ont un impact non négligeable sur les ressources en eau et les sols du massif. Ces phénomènes contribuent à en diminuer sa valeur, en tant que réservoir d'eau, de biodiversité endémique et de potentiel bio-productif pour l'environnement national et sous régional.
Le massif du Fouta Djallon est confronté à trois défis environnementaux majeurs.
2.1 La déforestation
Malgré leur inestimable richesse, les forêts du massif font face à des degrés divers de déforestation. La situation n'étant toutefois pas homogène, les principales causes de la déforestation sont l'agriculture et l'exploitation forestière à petite échelle ainsi que les incendies. La zone fait également l'objet de quelques permis miniers mais inactifs, qui imposent une nécessaire vigilance. La perte de couverture forestière menace l'équilibre des écosystèmes et la régulation du cycle de l'eau.
2.2 Le changement climatique
L'augmentation des températures moyennes et les modifications du régime des pluies accentuent la vulnérabilité du massif du Fouta Djallon. Les projections présentées pour l'horizon 2100 et plusieurs scénarios indiquent une augmentation des températures de l'ordre de 0,5°C à 4,8 °C dans la zone du massif. En ce qui concerne la pluviométrie, le massif pourrait connaitre une diminution des précipitations de 31% par rapport à la moyenne actuelle à partir de 2050. Cette baisse pourrait se poursuivre pour atteindre au maximum 40% à l'horizon 2100.
Dans ces conditions, les débits des cours d'eau devraient diminuer de 20 à 40% d'ici à 2050, ce qui impactera négativement la recharge des eaux souterraines.
Les impacts sur la forêt montagnarde ne sont pas à écarter. Le climat devenant moins favorable, des conséquences sont à craindre sur la perte de densité de végétation et la diminution du pouvoir tampon des peuplements végétaux vis-à-vis de l'écoulement des eaux. Les écoulements profonds se réduisant au profit du ruissellement, des phénomènes de crues ou de tarissage des sources risquent également de se produire.
Ces dynamiques accélèrent la désertification et l'ensablement des cours d'eau et des têtes de sources, réduisant du même coup la capacité d'absorption des terres.
Les conséquences attendues de ces phénomènes touchent aussi tous les compartiments socio économiques. Le changement climatique pourrait être à l'origine de nouveaux conflits sociaux liés au manque d'eau, aux baisses de rendement agricole, aux pertes de récoltes et de cheptel, etc. Les agriculteurs représentent le groupe socio-économique le plus vulnérable ; puis viennent les maraichers et les planteurs, tandis que les éleveurs de petits ruminants et les aviculteurs sont classés parmi les moins vulnérables.
2.3 La dégradation des terres
La modification des caractéristiques du sol et la baisse de fertilité sont également des indicateurs de cette dégradation environnementale. La perte de couvert végétal entraîne une disparition de la matière organique et le décapage des sols meubles par les eaux de ruissellement, d'où une perte sensible de fertilité.
Faisant suite à cette dégradation apparaissent toutes les séquelles des processus d’érosion par l'eau. L'accélération de plus en plus marquée de ces processus posent un grave problème pour l'avenir du Fouta Djallon et créent un danger permanent pour les pays voisins.
En évoquant la valeur exceptionnelle du massif, l'on ne saurait passer sous silence ses vulnérabilités. Celles-ci ont besoin d'être maîtrisées ou anticipées et la présente demande d'inscription s'inscrit aussi dans cette démarche, pour une protection permanente et durable de ce patrimoine universel.
3. Un massif sous surveillance constante
Le massif du Fouta Djallon est un laboratoire à ciel ouvert depuis plus d’un siècle. De multiples travaux et de nombreuses initiatives ont mis en lumière son intérêt pour de nombreux acteurs.
3.1 De nombreux travaux de recherche et d'étude
Déjà en 1906, le botaniste français Auguste Chevalier, installa le premier jardin botanique expérimental à Dalaba. Depuis, plusieurs missions de recherche sur la faune et la flore se sont succédées pour faire l'inventaire de la biodiversité, dont la dernière en date a été menée entre 2009 et 2012 par Wild Chimpanzee Foundation et l'Office Guinéen de Parcs Nationaux et Réserves de Faune (OGPNRF).
Sur le plan cartographique, la CEDEAO, à travers son Centre de Gestion des Ressources en Eau (CORE), a réalisé avec l'appui de la Banque Mondiale, « l'Atlas de l'eau du massif du Fouta Djallon » (2017). Plusieurs autres études ont été menées de manière globale ou partielle dont la plus récente publiée en 2022 portant « Diagnostic prospectif du massif du Fouta Djallon », assortie de l'analyse des opportunités et de la proposition d'options/priorités de restauration des écosystèmes dégradés du massif dans le cadre du Partenariat Régional sur l'Eau et l'Environnement en Afrique Centrale et Occidentale (PREE), pilotée par l'UICN, la Coopération Suédoise et le Global Water Partnership en Afrique de l'Ouest.
Toutes ces initiatives de recherche pour une meilleure connaissance du massif témoignent de l'intérêt qu'il suscite au niveau international.
3.2 Une multitude de projets & programmes d'appui
Conscients des enjeux géostratégiques et de l'importance vitale du massif du Fouta Djallon sur la vie des communautés ouest-africaines, les gouvernements successifs de la République de Guinée ont multiplié les appels pour la sauvegarde du site.
La première alerte a été lancée par la Conférence Interafricaine des Sols qui s'est tenue du 02 au 12 novembre 1959 à Dalaba, au cœur du massif : elle portait sur la dégradation des terres et les enjeux majeurs liés à la préservation du site. Plusieurs initiatives se sont alors succédées, avec des niveaux de développement différents.
Suite aux sécheresses qui ont frappé le Sahel dans les années 1970, l'Union Africaine a ensuite mis en place, dès 1981, le Programme Régional d’Aménagement Intégré du massif du Fouta Djallon. Ce programme a déroulé plusieurs projets avec l'appui de divers partenaires tels que l'UE, la Banque Mondiale, l'Agence Française de Développement, la BAD, la FAO, le PNUE (avec le FEM), l'UICN, etc.
Parallèlement, d'autres initiatives portées principalement par les organismes de bassins (OMVS, OMVG, ABN, MRU, etc.), les différents Etats-membres, leurs partenaires bilatéraux ou multilatéraux et les ONG ont soutenu des approches communautaires et mis en œuvre des projets pour la préservation des écosystèmes du massif.
3.3 Une mobilisation politique d'ampleur
C'est en mars 2022, lors du Forum International de l'Eau de Dakar, que la mobilisation pour le massif du Fouta Djallon prend une tournure plus politique. A cette occasion, la problématique de la préservation des ressources en eau du massif est clairement posée et une coalition régionale pour la sauvegarde du site est mise en place.
La CEDEAO, les agences des Nations Unies et la communauté internationale toute entière se mobilisent alors pour élaborer un plan d'action présenté lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Eau en 2023 à New York.
Dans le cadre de cet élan de mobilisation, des actions de plaidoyer sont menées, couronnées par « l'Appel de Labé » lancé le 1er juin 2024 par la FAO, UNISS(3), la CEDEAO et d'autres organisations du Système des Nations Unies, sous le haut parrainage des autorités guinéennes. Cet Appel fut entériné par la Conférence des Chefs d'Etats de la CEDEAO en juillet 2024 à Abuja.
Ces différentes initiatives ont fait l'objet d'un portage politique au plus haut niveau de l'Etat guinéen, confirmé à l'occasion de la déclaration du Premier Ministre prononcée lors de l'Assemblée Générale des Nations Unies le 28 septembre 2024 à New York : dans son allocution, le Chef du Gouvernement guinéen s'est engagé à mobiliser toutes les ressources et à mettre en œuvre le plaidoyer nécessaire afin d'inscrire le massif du Fouta Djallon au patrimoine mondial de l'UNESCO, objet de la présente demande.
Notes :
(1) Chacun de ces sites fait l'objet d'une inscription sur deux autres listes indicatives soumises par la Guinée.
(2) Cette route fait également l'objet d'une demande d'inscription sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
(3) Stratégie Intégrée des Nations Unies pour le Sahel
Justification of Outstanding Universal Value
La Valeur Universelle Exceptionnelle du massif du Fouta Djallon se justifie à travers son importance hydrologique, géologique, historique, biologique, culturelle et sociale. On peut les résumer ainsi :
Ressources en Eaux : le massif du Fouta Djallon est reconnu comme étant le « château d'eau » de l'Afrique de l'Ouest, en référence aux nombreux fleuves internationaux qui y prennent leur source ; il a donc une influence qui s'étend bien au-delà des marges guinéennes du massif et celui-ci maintient un lien vital avec les populations locales et tous les écosystèmes environnants.
Valeur Historique : le massif du Fouta Djallon revêt une importance historique en tant que territoire d'interaction de plusieurs communautés et religions, d'espace-carrefour de différentes routes commerciales et d'échanges culturels, etc.
Biodiversité : le massif du Fouta Djallon abrite une biodiversité riche et variée, avec de nombreuses espèces endémiques de flore et de faune. Cette diversité biologique contribue à l'équilibre des écosystèmes et à la résilience face aux changements climatiques.
Écosystèmes Uniques : le massif du Fouta Djallon présente des écosystèmes variés, allant des forêts tropicales humides aux prairies d'altitude, offrant un habitat à de nombreuses espèces menacées et jouant un rôle crucial dans la régulation des cycles de pluviométrie sur plusieurs continents (Afrique, Europe et jusqu'en Amérique (4)).
Patrimoine culturel : la région est habitée par plusieurs groupes ethniques, aux traditions culturelles riches, avec de nombreux sites qui méritent d'être préservés et valorisés : Case de Couronnement des Almamy du Fouta théocratique, Place des neuf diwés, Route de l'Esclavage, etc.
Développement durable : la reconnaissance de la Valeur Universelle Exceptionnelle du massif du Fouta Djallon pourrait favoriser des initiatives de développement durable, en intégrant la conservation de l'environnement avec le bien-être des communautés locales tout en organisant des activités génératrices de revenus.Critère (vi) : les pratiques rituelles au niveau des têtes sources
Le fonctionnement du Fouta Djallon dans ses pratiques politiques, sociales et religieuses regorge d'évènements culturels importants, au nombre desquels on peut citer les rites de couronnement des Almamy, l'Assemblée Générale, les fêtes religieuses, les cérémonies marquant les fins de parcours d'initiation ou de traduction du Coran, etc.
Mais ce sont surtout les légendes autour des nombreuses sources du massif qui attirent l'attention du profane. En effet, les têtes de sources font l'objet de pratiques mystiques, de rites sacrés, de croyances et sont entourées de nombreux mystères. Au Fouta Djallon, il se raconte qu’un pacte de protection mutuelle associe les êtres humains aux sources d'eau douce qui jaillissent du massif.
En réalité, les têtes de sources sont protégées par des esprits ou des génies protecteurs qui auraient établis des pactes de non-agression avec les premiers habitants. Leurs descendants en seraient les garants en jouant le rôle de prêtres sacrificateurs. L'accès à ces têtes de sources ne serait autorisé qu'à travers ces prêtres officiants. Tout contrevenant à cette autorisation pourrait subir un mauvais sort. Ces rites concourent à la protection et à la conservation de ces points d'eau.
Dans son livre, Raymond Lehideux-Vemimmen nous fait notamment revivre l'aventure passionnante de deux jeunes explorateurs qui ont découvert les sources du Niger en 1879. Jusqu'à cette date, aucun géographe n'avait réussi à percer le mystère entourant l’origine exacte du fleuve sur laquelle d'aucun s'interroge toujours, depuis plus de 2 000 ans. Un autre passage du livre évoque un interdit : celui de demander à quiconque la direction de la source, au risque de se perdre dans la forêt et de n'en sortir que le lendemain. Le Djoliba, autre nom du Niger, est un fleuve sacré. Un fleuve protégé par ses propres dieux, par ses propres prêtres et par les cultes secrets qui lui sont rendus. L'accès à sa source est interdit aux profanes, encore aujourd'hui, sauf à pratiquer des rituels apotropaïques et à effectuer des sacrifices tutélaires pour conjurer le mauvais sort et détourner les influences maléfiques. Même en 1879, lorsque Marius Moustier et Josua Zweifel réussissent à percer le mystère de la source du Niger, bon nombre de leurs compagnons le paieront plus tard de leurs vies.
La source du fleuve Gambie, située dans le district de Hooré Dimma, fait aussi l'objet d'une croyance tenace : il est en effet interdit aux enfants des villages environnants de fréquenter la source au risque de troubler l'eau et de subir un mauvais sort, jusqu'à contracter des maladies incurables.
Les sept sources du fleuve Bafing sont aussi le théâtre de mythes et légendes dont certaines sont toujours bien vivantes. La fréquentation de la source Salamayo est par exemple interdite les lundis, jeudis soir et vendredis. Au kilomètre 15, en aval de la source, la légende raconte que le Diable a bloqué le passage de l'eau à l'aide d'une grosse pierre et qu'il en a été chassé par un étranger. Certaines des sept sources sont inaccessibles aux jeunes, aux femmes et même à certains Chefs au risque de perdre leurs attributs. D'autres exemples ont été cités par Modi Ibrahim.a et Abdoulaye Teela, les gardiens des sept sources. Leurs témoignages sont retranscrits ci-après :
« Un jour, après avoir puisé de l'eau dans une des sources, Thierno Abdoulaye et Djiba Camara sont rentrés malades à la maison ; il a fallu que leur mère ramène l 'eau à la source pour qu'ils se rétablissent » ;
« Un autre jour, le Vieux Boura de Salamayo est allé puiser de l'eau fraiche à la source pour un étranger de passage ; arrivé à la maison, sa bouteille était vide. Depuis, il est tombé malade, et la fièvre l'a emportée ».
« En 2023, un jeune malade mental est parti s'installer au niveau d'une des sources où il a planté du manioc et du taro ; malheureusement, il est mort là-bas et les villageois ont ramené son corps au village ».
« Une des sources est protégée par un essaim d'abeilles ; nul ne doit récolter le miel au risque d'être paralysé ».
Critère (vii) : la beauté des paysages et leur importance esthétique exceptionnelle
Le massif montagneux du Fouta Djallon offre des paysages époustouflants et préservés qui ont rendu ce site célèbre en Afrique et dans le monde entier.
Les sommets structurent le paysage. Les roches et rochers en assurent le décor et l'originalité. Les hauts plateaux cuirassés ou latéritiques (appelés Bowal) sont un marqueur des paysages pittoresques du Fouta.
Les montagnes culminent à 1538 m avec le mont Loura, au nord du massif. Non loin de là, on y retrouve aussi un pic connu sous le nom de « Dame de Mali » en référence à la forme de visage que prend ce surplomb lorsqu'il est vu sous un certain angle. Du haut de ce point de vue, il est possible d'apercevoir les lumières de Kédougou, au Sénégal voisin, par temps clair. La plupart des reliefs du Fouta Djallon offre des vues panoramiques spectaculaires sur les plaines avoisinantes du massif.
Les montagnes sont entaillées par les rivières qui en dévalent les pentes avec majesté. La forte pluviométrie, les nombreux cours d'eau sillonnant les forêts et savanes arborées, les somptueuses cascades glissant du haut des falaises, font du massif du Fouta Djallon un véritable Eden. Les chutes de Kambadaga ou Ditinn créent des paysages à couper le souffle. Les nombreux lacs ajoutent une touche de sérénité et de beauté à l'ensemble du site. Les vallées profondes, traversées par des rivières sinueuses, créent des décors magnifiques en aval du massif.
La région bénéficie d'un climat subtropical humide, ce qui lui permet de conserver sa verdure tout au long de l'année. La fraîcheur des montagnes contraste avec les régions plus chaudes et sèches du pays.
Le paysage du massif est également façonné par le système de culture traditionnellement pratiqué au Fouta Djallon: celui des tapades. Il s'agit de groupes d'enclos formant des taches de verdure et d'habitats sur les plateaux du massif. Ce sont des zones de résidence, d'élevage domestique et de jardin enclos. Elles permettent de faire l'élevage et la culture céréalière (fonio) sur des espaces de champs ouverts et de disposer de jardins protégés. Ceux-ci sont productifs toute l'année grâce à un apport continu de matière organique, d'herbes et de cendres. Les tapades de Guinée ont souvent été présentées comme la solution au problème de la coexistence de l'agriculture et de l'élevage. Ce système de culture traditionnel a même été répertorié au titre des « Systèmes Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial » (SIPAM) par la FAO.
Les villages du Fouta Djallon sont aussi connus pour leur architecture traditionnelle en banco, leurs marchés colorés et leur culture chaleureuse. C'est aussi une région de grande hospitalité, un des principaux marqueurs de la culture peule de cette région.
Le Parc Naturel du Moyen Bafing et la réserve naturelle de Gambie Falémé présentent une diversité faunique et floristique impressionnante. Le parc est une destination prisée pour les safaris et l'écotourisme.
Le massif du Fouta Djallon est une destination et un lieu idéal de randonnée pour tous les amoureux de la nature, en quête d'évasion et d'authenticité.
Les principaux sites présentant une beauté naturelle ou qui ont une importance esthétique exceptionnelle dans le massif du Fouta Djallon sont aussi présentés dans le tableau ci-après:
N° |
DESIGNATION |
LIEU |
DESCRIPTION |
1 |
Tête de source du fleuve Bafing Salamayo |
Mamou |
Outre la source du fleuve Bafing, le site renferme la forêt classée de Bafing source |
2 |
Pont de Dieu |
Dalaba |
Pont naturel (rochers) |
3 |
Chute de Ditinn |
Dalaba |
Chute naturelle |
4 |
Chute de Kambadaga |
Pita |
Chute naturelle |
5 |
Chute de Saala |
Labé |
Chute naturelle |
6 |
Tête de source Hooré Dimma |
Labé |
Source du fleuve Gambie |
7 |
Chute de Kokoun Timbobhè |
Tougué |
Une des chutes les plus impressionnantes (12m) du Bafing-Falémé et lieu privilégié des chimpanzés |
8 |
Chute de Diatiféré |
Tougué |
Véritable trésor naturel |
9 |
Forêt communautaire de Pettel Djelimba |
Mali |
Très riche en flore et faune (notamment félins et chimpanzés) |
10 |
Forêt classée de la Woundou Sud |
Koubia |
Très riche en flore et faune (y compris félins et chimpanzés) |
11 |
Forêt classée de la Woundou Nord |
Koubia |
Zone intégrale de réserve de faune |
12 |
Chute de Kandjala |
Mali |
Chute et rapides où séjournent des hippopotames durant la saison des pluies |
13 |
Forêt classée de la Kabéla |
Mali |
Zone intégrale de réserve de faune de Gambie Falémé |
14 |
Forêt classée de la Gambie |
Mali |
Zone intégrale de réserve de faune |
15 |
Forêt classée de Fello Djigué |
Gaoual |
Sanctuaire des vautours du Fouta Djallon |
Critère (x) : des sites naturels représentatifs d'une biodiversité riche
Le massif du Fouta Djallo abrite deux aires protégées majeures pour la conservation in situ de la diversité biologique, où survivent notamment des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation.
Le Parc National du Moyen-Bafing (PNMB)
Créé par Décret N°D/2021/123/PRG/SGG du 4 mai 2021, le Parc National du Moyen Bafing (Catégorie II UICN) s'étend sur 6.767 km2 de superficie au nord-est du massif du Fouta Djallon. Il constitue le deuxième plus grand Parc National de la Guinée. Il est bâti autour de six (6) forêts classées et couvre une grande partie du bassin versant du Bafing, les affluents du Falémé, ainsi que les rivières Koukoutamba et Téné dans sa partie sud.
Le parc présente une matrice de prairies comprenant des bowés, des savanes arbustives, et des forêts claires sur une gamme d'altitude de 500 m, le point culminant (935 m) se trouvant au sud du parc, à Kourousansan.
Les rivières comprennent plusieurs cascades et des sections rapides. Leurs abords abritent de rares espèces de flore comme les Podostémacées.
Le parc se distingue aussi par la présence d'une grande population de chimpanzés (plus de 5000 individus de Pan troglodytes verus, ce qui représente 12% de la population de chimpanzés d'Afrique de l'Ouest), ainsi que d'autres grands mammifères qui se trouvent principalement dans les forêts galeries et les forêts claires (répertoriées comme types de végétation prioritaires).
La biodiversité du parc est impressionnante: il compte 47 espèces de mammifères, 300 espèces végétales, 51 espèces de poissons et 203 espèces d'oiseaux.
Ce parc a été créé sur la base d'un projet de compensation écologique des impacts résiduels de l'exploitation minière dans les zones extérieures au massif. Le PNMB est subdivisé en trois zones : i) la Zone Intégralement Protégée (ZIP) dans laquelle les activités humaines sont interdites (à l'exception des villages « enclaves »); ii) la Zone de Gestion des Ressources (ZGR) où l'habitation et les activités humaines sont règlementées (cueillette durable des produits forestiers non ligneux destinés à la consommation alimentaire familiale et l'exploitation agro-écologique des bas-fonds); iii) la Zone de Développement (ZD) où les activités humaines sont menées durablement et les droits fonciers coutumiers des populations sont maintenus.
La Réserve Naturelle de faune de Gambie Falémé (RNFGF)
La Réserve Naturelle de faune de Gambie Falémé (Catégorie V et VI UICN) est en cours de création. Sur une superficie de 3.731 km2, la RNFGF a pour but de favoriser l'inter-connectivité écologique entre le Parc National du Moyen Bafing et la forêt communautaire de Mali d'où part le corridor de biodiversité qui relie la réserve à la forêt communautaire de Dindéfollo, au Sénégal.
Quatre (4) forêts classées constituent les aires centrales de la RNFGF. Elles sont purgées de tous droits d'usage susceptibles de les altérer. En dehors de ces aires centrales, la réserve comprend aussi des zones tampons (autour de la grappe d'aires centrales) et des zones de développement autour des deux zones tampons dans lesquelles les populations riveraines accomplissent leurs activités socio-économiques.
La réserve est très riche en biodiversité avec des espèces intégralement protégées comme la panthère, le lion, le chimpanzé, le colobe baie (en voie de disparition), le buffle, le patas, l'hippopotame, de nombreuses variétés de reptiles et d'oiseaux.
La réserve est dotée d'un Plan d'Aménagement et de Gestion concertée pour une période de cinq (5) ans qui privilégie le développement des communautés locales, la protection de la nature, la conservation de la diversité biologique, ainsi que l'utilisation raisonnée des ressources naturelles.
Notes :
(4) Le rapport 2024 de la Global Commission on the Economies Water met en évidence le rôle que joue le massif du Fouta Djallon dans la répartition de la pluviométrie à l'échelle régionale et jusqu'en Amérique Latine.
Statements of authenticity and/or integrity
Le massif du Fouta Djallon est un site au patrimoine biologique remarquable, le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest et le berceau d'une culture riche et préservée. La valeur universelle exceptionnelle du site réside dans son rôle à la fois écologique, hydrologique, culturel et historique. Son inscription sur la liste du Patrimoine Mondial permettra de capitaliser les efforts pour sa conservation et sa gestion durable.
L'authenticité et l'intégrité du massif du Fouta Djallon se vérifient au travers de :
La beauté de ses paysages : le massif présente des formations géologiques caractéristiques (plateaux « bowals », falaises, vallées) ; ses paysages de forêts luxuriantes, de montagnes, de rivières et de cascades sont de véritables joyaux naturels.
La pérennité de ses savoirs traditionnels : les communautés locales (Peuls, mais aussi Malinkés et Dialonkés) perpétuent des pratiques agricoles, pastorales et artisanales ancestrales, basées sur une connaissance intime du territoire et un respect des ressources naturelles. Ces savoirs traditionnels, transmis de génération en génération, sont essentiels pour la gestion durable du Massif.
La continuité de ses pratiques culturelles : les traditions orales, les rites, les sites sacrés témoignent d'une histoire riche et d'une identité culturelle forte. De nombreux sites abritent encore aujourd'hui les symboles du pouvoir traditionnel peul (case du couronnement, place des neuf diwés, etc.). D'autres éléments immatériels contribuent aussi à la singularité du massif et à son authenticité. L'héritage culturel (matériel et immatériel) inestimable du massif du Fouta Djallon est protégé et jalousement conservé par des communautés locales qui, jusqu'à présent, continuent de sauvegarder leurs modes d'organisation sociale, leurs croyances et pratiques ancestrales et leurs traditions artistiques.
La préservation de son patrimoine bâti traditionnel : l'architecture vernaculaire, avec ses cases traditionnelles construites en matériaux locaux (terre, paille, bois), reflète une adaptation ingénieuse au climat et aux ressources disponibles. Ces constructions témoignent d'un savoir-faire ancestral et d'un lien profond entre les communautés et leur environnement.
Comparison with other similar properties
Le massif du Fouta Djallon peut être comparé à deux autres sites déjà classés : i) les Monts Nimba (Guinée, Côte d'Ivoire) inscrits en 1981 et ii) le Parc National du Niokolo-Koba (Sénégal) inscrit également en 1981.
Critères UNESCO |
Massif du Fouta Djallon (Guinée) |
Monts Nimba (Guinée, Côte d'Ivoire) |
Parc National du Niokolo-Koba (Sénégal) |
Critère (vii) : |
Chutes d'eau spectaculaires (Kambadaga, Ditinn, Saala), hauts plateaux verdoyants, formations rocheuses érodées uniques |
Reliefs abrupts, falaises impressionnantes, forêts tropicales luxuriantes |
Savanes boisées, plaines fluviales, forêts denses |
Critère (x) : Conservation des espèces menacées |
Habitat du chimpanzé d'Afrique de l'Ouest (Pan troglodytes verus), |
Site clé pour la conservation du crapaud vivipare, chimpanzés et léopards |
Réserve majeure pour la faune sahélienne (lions, léopards, antilopes, hippopotames) |
Critère (vi) : |
Influence de la Théocratie Peule, traditions orales riches, sites historiques et spirituels |
Peu de patrimoine culturel reconnu |
Importantes traditions culturelles locales, mais peu étudiées |
Aucun des deux sites comparés ne possède une interaction aussi forte entre patrimoine naturel et culturel, ce qui renforce l'argumentation en faveur de l'inscription du massif du Fouta Djallon.
Les principales raisons qui font que le massif du Fouta Djallon est exceptionnel sont liées à :
Son rôle de réservoir d'eau pour toute l'Afrique de l'Ouest : à l'image des Highlands d'Ethiopie, du Kenya ou du Lesotho, du plateau de Jos au Nigeria ou des Hauts Plateaux centraux de Madagascar (cf. carte en annexe), le massif du Fouta Djallon fait partie des châteaux d'eau les plus emblématiques d'Afrique; son réseau hydrographique dessert neuf pays ouest-africains qui totalisent 300 millions d'habitants; la préservation du massif est hautement stratégique et constitue un défi majeur pour la sécurité alimentaire de tout un continent, à l'heure du changement climatique ;
Son capital naturel et la richesse de sa biodiversité : bien que les Monts Nimba et le Parc du Niokolo-Koba soient aussi des refuges importants pour la biodiversité, le massif du Fouta Djallon abrite des espèces menacées dans un écosystème encore plus fragile ; en particulier, il concentre l'essentiel de la population de chimpanzés (en danger critique d'extinction) de tout l'ouest africain ; le massif du Fouta Djallon est également un écosystème clé pour les forêts humides et les espèces endémiques menacées ;
Son patrimoine culturel vivant et unique : le massif du Fouta Djallon est le berceau de la Théocratie peule qui a influencé toute l'Afrique de l'Ouest. Les traditions orales (récits historiques, contes et poèmes) sont encore transmises aujourd'hui et méritent d'être sauvegardées, au risque de tomber dans l'oubli.